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Rubrique : internautes / le droit pour tous
Mots clés : presse, journaux, journalistes, contrat, auteur
Citation : Lionel THOUMYRE, "Les tribulations de la presse sur Internet", Juriscom.net, novembre 1999
Première publication : Netsurf, n°43, octobre 1999


Les tribulations juridiques de la presse sur Internet

Les éditeurs de presse versent volontiers le contenu de leurs publications traditionnelles sur la Toile. Mais quand personne ne demande l’accord des journalistes, procès et négociations se succèdent.

Lionel Thoumyre


Vous trouverez un commentaire de la dernière affaire relative au droit des journalistes (Affaire Le Progrès, Tribunal de Grande Instance de Lyon, 21 juillet 1999) dans le bulletin E-Law n°12


Petits et grands titres de la presse traditionnelle apparaissent sporadiquement sur le Web. Les éditeurs ont rapidement compris les avantages qu’ils peuvent retirer du réseau : élargir et internationaliser leur lectorat tout en diminuant fortement les coûts de distribution. Titulaires des droits d’auteur sur l’œuvre collective que constitue chacun des numéros, ils n’hésitent pas à mettre en ligne les articles réalisés pour la version papier, dans l’ignorance des droits appartenant aux seuls journalistes.

Une première affaire a mis un frein à cette pratique naissante. La direction du quotidien les Dernière Nouvelles d’Alsace avait autorisé le prestataire Plurimedia à republier le contenu de son canard sur le Net. Constatant qu’une seconde utilisation de leurs articles avait été faite sans leur accord et sans négocier de nouvelle rémunération, les journalistes des DNA, accompagnés de deux syndicats, assignent Plurimedia devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Strasbourg. La société défenderesse oppose alors trois arguments de taille. Tout d’abord, elle prétend détenir les droits de reproduction des journalistes de son contrat avec les DNA. Elle allègue ensuite que l’éditeur de presse est le seul à être investi des droits d’auteur sur l’œuvre collective et peut donc en autoriser l’accès sur Internet. Troisième et dernier argument : les journalistes ont déjà consenti à une première publication de leur article pour l’édition sur papier journal, dont la version électronique ne se distingue pas. Nul besoin, donc, de demander leur accord une seconde fois.

Dans son jugement du 4 février 1998, le tribunal rejette les affirmations de Plurimedia en rappelant, tout d’abord, que le fait de posséder les droits d’auteur sur l’œuvre collective ne prive pas le journaliste de ses droits sur sa propre contribution. Il ajoute que " le journaliste limite la cession de son droit d’auteur à une première publication ". Or, selon le juge, la publication sur Internet équivaut à une seconde publication. Elle ne peut être assimilée à celle du journal papier pour les raisons énoncées dans l’ordonnance de référé : " la communication par réseau présente une spécificité technologique ; le produit n’est pas le même que celui du journal ; il s’agit d’un nouveau moyen de communication. "

Cette solution sera confirmée dans une seconde affaire impliquant la société de gestion du Figaro Magazine. L’éditeur avait procédé à la publication télématique de ses archives et proposait l’envoi de copies d’articles par fax ou e-mail... sans l’accord de ses journalistes. Devant le tribunal, la défense essayait à nouveau de faire admettre que " l’édition télématique n’est qu’un prolongement de la diffusion du journal ", ne nécessitant pas un nouvel accord des journalistes. Mais, le 14 avril 1999, le Tribunal de grande instance de Paris conclu de manière générale que toute reproduction " sur un nouveau support résultant de la technologie récente ", à savoir le Minitel, Internet, et sur CD-ROM, exige non seulement une nouvelle rétribution des journalistes mais, surtout, le consentement exprès des ayants droit.

L’enseignement a déjà porté ses fruits puisque la direction des Échos a accepté de négocier le sort des articles de ses journalistes. Conclu en juillet dernier, l’accord autorise l'utilisation gratuite des articles pour l'édition électronique du jour. En revanche, les journalistes recevront une rémunération pour toute consultation des articles tombés dans les archives payantes. Une solution raisonnable : elle ne compromet pas la mise en ligne de la presse traditionnelle.

L.T.

Liens :

Affaire DNA

Affaire Figaro

 

Et aux États-Unis ?

La justice américaine paraissait moins favorable aux journalistes. Au cours de l’affaire Tasini, jugée en 1997, pigistes et auteurs indépendants ont revendiqué leurs droits d’auteur contre plusieurs groupes de presse pour la republication de leurs articles sur CD-ROMs et banques de données. Bien que les pigistes détiennent un droit sur leur contribution individuelle, que l’article 201 (c) du Copyright Act distingue précisément du droit des exploitants sur l’œuvre collective, la cour avait finalement débouté les demandeurs. Elle considérait qu’en mettant les articles sous forme électronique, les exploitants avaient simplement fait usage de leur " droit de révision " conféré par la loi ! Mais la Cour d'appel du second circuit des États-Unis a récemment infirmé la précédente décision en faveur des journalistes. En absence de contrats spécifiques, le titulaire des droits sur l'oeuvre collective ne peut plus disposer de leurs articles...

L.T.

Affaire Tasini en 1997 : http://www.law.seattleu.edu/chonm/cases/tasini.html
Révision du jugement en 1999 : http://laws.findlaw.com/2nd/979181.html

 

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