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Rubrique : internautes / le droit pour tous
Mots clés : commerce, électronique, cybercommerce
Citation : Marie-Hélène DESCHAMPS-MARQUIS, "Courriels indésirables s'abstenir", Juriscom.net, octobre 1999
Première publication : Journal du barreau, vol. 30, n°15, 15 septembre 1999


Courriels indésirables s'abstenir !

Marie-Hélène Deschamps-Marquis


La Cour supérieure ontarienne rendait jugement, le 14 juin dernier, dans l'affaire 1267623 Ontario c. Nexx Online1. Pour la première fois, un tribunal canadien se prononçait sur la pratique du spam et donnait une valeur juridique à la nétiquette.

Mais qu'est-ce que le spam2? Il s'agit de l'équivalent électronique du dépliant publicitaire, distribué à toutes les boîtes postales du quartier. Le spam est une campagne publicitaire effectuée par l'envoi massif de courriels, souvent des centaines de milliers par jour, à des internautes qui ne les ont pas sollicités. L'aspect non sollicité est une composante importante de sa définition ; il explique son caractère indésirable et le différencie de la publicité expédiée à la suite d'une souscription.

Quant à la nétiquette, il s'agit d'un ensemble de règles de savoir vivre que se doivent de respecter les utilisateurs d'Internet ; un code en évolution, non écrit, basé sur les principes de bon voisinage pour un développement ordonné de l'Inforoute.

La décision de la Cour

L'entreprise 1267623 Ontario Inc. (1267623) est une compagnie canadienne de mobilier résidentiel s'adressant directement aux consommateurs par l'entremise d'Internet. En août 1998, elle signe avec Nexx Online, une compagnie spécialisée dans l'hébergement de sites Internet, un contrat pour l'hébergement du site Web de 1267623. Or cette entreprise base son marketing sur l'envoi de spam. En janvier 1999, Nexx Online reçoit des plaintes d'internautes concernant des envois non sollicités de courriels en provenance de 1267623. Le mois suivant, devant le nombre élevé de plaintes, le fournisseur d'accès Internet avertit son client que le spamming est contraire à la nétiquette et que, si cette pratique se poursuivait, il entendait résilier leur contrat.

En réponse, 1267623 décide de retenir les services d'un tiers pour faire l'envoi des courriels promotionnels. Nexx Online réagit en désactivant le site web de la compagnie... qui s'adresse ensuite à la Cour supérieure de l'Ontario pour obtenir une injonction ordonnant à Nexx de réactiver son site, arguant que l'ensemble des activités de la compagnie est basé sur le commerce électronique.

La juge Wilson analyse le contrat dont une clause vient appuyer les prétentions de Nexx Online, le fournisseur d'accès Internet : " L'utilisateur du compte s'engage à suivre et à accepter la nétiquette lors de l'envoi de courriels ou lors de la participation à un groupe de discussion virtuel (newsgroup) " [traduction libre]

Nexx a présenté au tribunal des copies de rapports sur l'envoi en masse de courriels, soulignant au passage le caractère inapproprié et inacceptable de cette pratique pour la majorité des internautes. En fait, il fut mis en preuve que peu de fournisseurs Internet permettaient l'envoi massif de courriels.

Malgré l'absence de jurisprudence canadienne en la matière, la cour conclut, " après avoir revu les principes qui ressortent de la jurisprudence américaine, les extraits des documents fournis et la réaction des internautes, que, sauf si un fournisseur de service permet spécifiquement, par contrat, l'envoi en masse de courriels non sollicités, il semble clair qu'envoyer des courriels non sollicités en grand nombre à des fins commerciales est contraire aux principes de la nétiquette. " [traduction libre]

Le juge Wilson estime que la compagnie Nexx Online était en droit de mettre fin au contrat et qu'il n'y a pas lieu d'accorder l'injonction.

Des caprices ?

Mais pourquoi faire un si grand cas du spam alors qu'il est de pratique courante de voir sa boîte aux lettres polluée de dépliants de pizzeria... Les internautes sont-ils si capricieux ?

Le vrai problème est dans le peu, pour ne pas dire l'absence de coûts reliés à l'envoi de tels messages. Pour distribuer des dépliants ou pour faire du télémarketing, l'entreprise doit assumer des frais et ceux-ci sont proportionnels au nombre de sollicitations effectuées. Pour le spam, la recette est simple et peu dispendieuse : il suffit de faire l'acquisition d'un logiciel qui permet la transmission de courriels à partir de listes ! En fait, les coûts véritables sont défrayés par le consommateur qui paie, à raison d'un certain nombre d'heures par mois, son accès à Internet. Les heures consacrées à recevoir les courriels sont autant d'heures perdues à naviguer sur Internet. Sans compter que l'énorme volume de courriels que cette pratique engendre ralentit les transferts de données entre les ordinateurs en congestionnant les voies de transfert. C'est donc l'ensemble des internautes qui sont pénalisés...

M.-H. D.-M.


Notes

1 [1999] O.J. No. 2246.

2 La légende veut que le terme spam provienne d'un numéro du groupe humoristique Monty Python dans lequel ce mot est répété indéfiniment éclipsant ainsi toutes les autres conversations dans la pièce.


Voir également sur Juriscom.net :

- Email publicitaires : tarir à la source (Espace "Internautes"), de Lionel Thoumyre ;
- Spamming et législation américaine : vers un projet fédéral décisif
(Espace "Professionnels"), de Eric Labbé ;
- Pourriel, pollupostage et référencement abusif : le spamming dans tous ses états
(Espace "Professionnels"), de Eric Labbé ;
- Bulletins E-Law 11 et 12.

 

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