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Rubrique : professionnels / volume 1

An 2000

Décembre 1998


 

Commentaire du jugement du 16 juin 1998 du Tribunal de commerce de Créteil

Appel 24/24 c/ Novatel et Sema Group

Alexandre Menais, Juriste spécialisé en droit de l'informatique

 


Introduction

Voici bientôt sept mois, nous tentions de proposer aux internautes (1) une approche juridique de la problématique liée au passage à l’an 2000. Nous avions fait part de notre inquiétude du désintérêt des institutionnels, notamment français. A ce jour, cet état des lieux peut sembler un peu péremptoire. Même si l’évaluation du risque est difficile à établir, tous les acteurs du monde économique et politique se placent désormais face à un risque maximal et par conséquent tentent de déployer un programme d’action et de sauvegarde aussi exhaustif que possible.

Il est vrai qu’à la décharge des entreprises, il y a eu, entre temps le rapport THERY (2)  et son absence de conséquences, des positions de la doctrine, pas toujours convaincantes, ou encore les réflexions d’institutionnels souvent partiales (3). Plus récemment, une circulaire du Premier Ministre (4) est venue sensibiliser l’administration sur les difficultés liées au passage à l’an 2000 et la nécessité de mobiliser l’ensemble des acteurs, l’administration devant se comporter d’une manière exemplaire ! (5) Bien tardive, cette prise de conscience collective se traduit dans les faits par une véritable "panique " qui nous semble être orchestrée par des sociétés de services profitant de cette aubaine pour augmenter leur chiffre d’affaire !

Quant aux constructeurs d’ordinateurs et éditeurs, ils traînent les pieds pour effectuer les corrections nécessaires, afin de protéger leur bénéfice. Mais il y a pire, puisque les informaticiens semblent eux aussi avoir sous-estimé l’ampleur de leurs tâches. Ces derniers reconnaissent que tout ne sera pas fait pour le jour J. Autrement dit, même les premiers partis ne subiront pas "le zéro bogue " ! Or, l’apparition des dysfonctionnements mettra en jeu la responsabilité des dirigeants, pour certains à l’égard des autorités de contrôle, dans le cadre de la réglementation (par exemple pour les établissements financiers), mais aussi vis-à-vis de la clientèle, qui attend un service inchangé. Même si le partage des responsabilités contractuelles n’est pas toujours clairement défini ni facile à établir, les fournisseurs pourraient également voir leur responsabilité engagée.

Les dirigeants d’entreprise ont pris conscience que les éventuelles possibilités d’assurance, qui s’avèrent très limitées, ne sauraient les protéger contre le risque d’une interruption de services (6). Les solutions que nous avions pu préconiser (les démarches vers les fournisseurs qui consistent, par réflexe naturel, à se couvrir d’un écrit par avance de l’éventualité d’une poursuite judiciaire), laissaient présager que chaque affaire serait traitée au coup par coup démontrant la bonne fois et les efforts de chacun, pour aboutir in fine à des explications dans les prétoires... Nous avions pu mettre en exergue que l’approche juridique du passage à l’an 2000 devait s’inscrire dans une démarche globale de l’entreprise. Nous précisions aussi que la démarche contentieuse n’était bien évidemment pas la démarche prioritaire. En cela, l’audit juridique des relations contractuelles constitue un outil plus efficace. Pour autant, nous présagions que les premières décisions judiciaires sur le passage à l’an 2000 susciteraient l’attention des différents institutionnels, parties prenantes dans cette affaire. Or, pour la première fois en France, un tribunal vient de rendre une décision à propos de la responsabilité d’un prestataire commercialisant un logiciel impacté an 2000 (7).

Dans cette affaire, deux questions étaient posées au Tribunal de commerce de Créteil :

  • Doit-on imposer la communication à son utilisateur des codes-sources d’un progiciel inadapté au passage à l’an 2000 ?
  • Quelle est l’étendue du devoir de conseil d’un fournisseur de logiciel ?

Les faits de l’espèce sont les suivants : La société APPEL 24/24 utilise un progiciel dénommé "serveur 3000" développé par la société SERIC, laquelle, en 1987, a procédé à une cession partielle de son fond à la société NOVATEL COMMUNICATION. Depuis cette cession, cette dernière commercialise et assure la maintenance non exclusive du progiciel "serveur 3000".

Fin 1994, la société NOVATEL COMMUNICATION fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire suivie d’un plan de continuation.

Le 11 février 1997, la société NOVATEL COMMUNICATION informait par courrier APPEL 24/24 que le progiciel utilisé par cette dernière, conçu à l’origine par la société SERIC ne l’avait pas été pour gérer les dates postérieures à la fin du siècle.

Cependant la société NOVATEL COMMUNICATION précisait à APPEL 24/24 qu’elle était en mesure de lui proposer un contrat de maintenance permettant d’assurer la mise à niveau du progiciel litigieux.

Le client de NOVATEL COMMUNICATION refusait cette proposition. Il assignait en référé son fournisseur pour manquement à ses obligations contractuelles, obtenait un nantissement judiciaire du progiciel, mais ce dernier fut rétracté et confirmé en appel, qui avait été interjeté par ce même client.

Certainement grisé par ce premier succès, entre temps, APPEL 24/24 demandait la communication des codes sources. Une procédure sur le fond était engagée.

Le tribunal de Créteil a jugé qu’il n’y a pas, en droit français, d’obligation légale de fournir le programme source, permettant à l’utilisateur final de l’adapter à l’an 2000, pour une société qui commercialise un progiciel dont elle n’est pas l’auteur.

Le tribunal juge ainsi que le devoir de conseil du professionnel ne s’impose pas lorsqu’il s’adresse à un autre professionnel, à plus forte raison lorsque ce dernier utilise le progiciel incriminé depuis plusieurs années.

Pour porter un commentaire sur ce jugement, il convient de démontrer que ce dernier ne bouleverse en rien l’acquis juridique en la matière (I). Mais, nous remarquerons qu’à certains égards, le tribunal prend des positions qui peuvent paraître critiquables et, surtout, qu’il n’a pas été amené à apprécier la problématique an 2000 avec des moyens opportuns (II).

 

I. Une décision qui s’inscrit dans une constante jurisprudentielle

Le tribunal de Créteil était amené à se prononcer sur la communication des codes sources (A) et sur le devoir de conseil d’un prestataire de service (B).

 

A. Doit-on imposer la communication des codes sources d’un progiciel inadapté ?

La société NOVATEL COMMUNICATION n’était pas l’auteur du progiciel incriminé. Elle avait reçu, par acte de cession partielle un droit de commercialisation et de maintenance de façon non exclusive. De sorte que, le titulaire des droits de propriété intellectuelle demeurait la société créatrice du progiciel, à savoir la société SERIC.

Autrement dit, la société NOVATEL COMMUNICATION ne pouvait, au regard des droits dont elle disposait sur le progiciel, fournir elle-même les codes sources. Il lui appartenait dès lors de transmettre cette demande à la société SERIC.

Pour éviter toute équivoque, il convient de distinguer la détention des sources et la propriété du progiciel. Sur le plan juridique, il n’est pas contradictoire de remettre un exemplaire des codes sources tout en gardant la propriété sur le progiciel.

Le tribunal n’en conclut pas pour autant qu’il y a une obligation légale de communication des codes sources dans le cadre d’un contrat de licence et/ou de maintenance. En effet, SERIC était assigné in solidum.

A contrario

A contrario, il ne faut pas en conclure que le refus de communication pourrait se fonder sur l’absence d’une cession de droit d’auteur ! Rien de tel, dans la mesure où ce qui prédomine c’est la volonté commune des parties de fixer les modalités d’accès aux sources., il ne faut pas en conclure que le refus de communication pourrait se fonder sur l’absence d’une cession de droit d’auteur ! Rien de tel, dans la mesure où ce qui prédomine c’est la volonté commune des parties de fixer les modalités d’accès aux sources.

Pour reprendre les propos des professeurs Croze et Saunier (8), la notion de source peut recevoir plusieurs définitions : ainsi, la remise des sources est certainement due si la propriété du programme est transmise à celui qui l’a commandé. Dans le cas d’une simple licence d’utilisation, il est normal, quoique non obligatoire, pour l’utilisateur de disposer des sources ; en revanche, il est franchement choquant pour ces auteurs qu’il ne puisse plus y accéder quand son fournisseur ne peut plus assurer la maintenance. Enfin, la distinction entre logiciel spécifique et progiciel n’aurait qu’une valeur indicative. L’activité d’une entreprise utilisatrice peut être tout autant perturbée si elle est privée d’un progiciel important ou d’un logiciel spécifique. En l’espèce, il est constant que la propriété n’a pas été transmise dans cette affaire.

De plus, on remarquera qu’APPEL 24/24 n’a pas cherché à se placer sur le terrain de la poursuite ou non des contrats en cours dans les procédures collectives. Quoiqu’il en soit, cet argument n’aurait pas été pertinent, dans la mesure où le juge rappelle que la maintenance avait été proposée au client et que celui-ci a préféré la refuser (ce qui pourtant peut paraître logique, à quoi bon souscrire un contrat de maintenance avec une entreprise dont la pérennité est menacée !).

Le dernier élément de l’analyse des auteurs précités mérite que l’on y prête attention, puisque les juges ne partagent pas la même position. Curieusement, les magistrats de Créteil demeurent très imprécis quant à définition du produit, objet du litige. La société NOVATEL COMMUNICATION exposait que le " Serveur 3000 " était en réalité "un progiciel c’est-à-dire un produit standard dont le client doit vérifier l’adéquation à ses besoins ". Le défendeur avait tout intérêt à retenir cette définition. La nature du produit, à savoir pour NOVATEL COMMUNICATION un progiciel, détermine l’étendue de ses obligations à l’égard de APPEL 24/24. Le demandeur quant à lui reste muet sur le sujet.

Pour le tribunal il se trouve que ". la preuve n’est pas apportée par APPEL 24/24 qu’elle a acquis le progiciel litigieux à ces dates" puis que " APPEL 24/24 n’apporte aucune preuve en ce sens, qu’elle a utilisé jusqu’ici son logiciel sans difficulté ".

Sauf erreur de notre part, le droit de l’informatique considère qu’il existe une différence entre un progiciel et un logiciel ? (9)

Or, APPEL 24/24 aurait participé "à la mise au point" du progiciel, objet du litige. La définition imprécise de la "mise au point", nous empêche d’aboutir à une conclusion absolue. Pour autant, il est constant qu’un progiciel mis à disposition par un prestataire informatique fera quasiment toujours l’objet d’une mise au point. Mais les us et coutumes de l’informatique obligent les juges dans cette hypothèse à qualifier les interventions du fournisseur informatique (les juges de Créteil se montreront beaucoup plus opportuniste en utilisant ces " sources du droit " pour dégager une solution de l’absence de contrat de maintenance (supra)). Néanmoins, la requalification de progiciel en logiciel ne peut être à notre sens écarté dans cette affaire. Elle serait pertinente tant sur le plan du droit, que sur le plan de l’opportunité.

Cette distinction prend toute sa force dans l’obligation qui pèse sur le fournisseur de mettre à disposition les sources à l’utilisateur. A cet égard, les tribunaux manifestent un certain souci d’éviter que le fournisseur ne puisse abuser d’une position de supériorité et que l’utilisateur ne soit pas trop démuni.

Rappelons que certains tribunaux ont considéré qu’en matière de logiciel, l’utilisateur devait pouvoir disposer d’une solution lui permettant d’adapter le logiciel à ses besoins, sans devoir faire appel à la société fournisseur, les sources constituant un accessoire de la prestation fournie.(10)

Enfin, sur le plan de l’opportunité Cette requalification aurait eu pour mérite de justifier en droit les moyens tirés de l’article 1615 du Code Civil, qui étaient soulevés par APPEL 24/24 pour le droit à la communication des sources. D’autant plus que les magistrats, sans recourir à l’ultra petita, (hypothèse d’un détournement des dispositions des articles 4 et suivant du NCPC) avaient considéré que les règles en matière de vente trouvaient à s’appliquer pour la délivrance "qu'elle devait avoir pour conséquence en la matière d'imposer la garantie d'un usage perpétuel dans un domaine technique, particulièrement évolutif et où il est constant que les impératifs du passage à l'an 2000 n'ont pas été pris en compte par l'ensemble des professionnels jusqu’à une date récente". (11)

En outre, la société APPEL 24/24 toujours sur le terrain de la vente (12), réclamait l’application de la garantie des vices cachés (article 1641 du Code Civil).

Le tribunal rejette cette application au motif "qu’Appel 24/24 n'apporte aucune preuve en ce sens, qu'elle a utilise jusqu'ici son logiciel sans difficulté, et que son défaut ne prêtera à conséquence que dans le futur, s'agissant de la tenue d'agendas à court terme ; qu'enfin elle n'établit pas qu'à l'époque il existait sur le marché des logiciels assurant le passage à l'an 2000 qui conforteraient l’existence d'un vice de Serveur 3000 par comparaison aux produits similaires de la concurrence ; qu'enfin, elle invoque la directive européenne dont elle reconnaît qu’elle n'est pas en vigueur en France ".

Là encore, le juge n’exclut pas la qualification de contrat de vente, en appliquant le régime de la garantie des vices cachés. Un vice caché est un défaut que l’utilisateur ne doit pas avoir été en mesure de déceler lors de la délivrance et qui rend le bien impropre à l’usage auquel il est destiné. En l’espèce "attendu qu’APPEL 24/24 n’apporte aucune preuve en ce sens qu’elle a utilisé son logiciel sans difficulté ". Le vice caché doit être distingué de l’obsolescence ou de l’usure normale et ceci, même si les juges ne le reprennent pas in extenso, cela est sous-entendu par le rappel de la qualité du produit défectueux. Enfin, la victime se doit, dans le cadre d’une action en garantie des vices cachés contre le fournisseur du logiciel, de prouver que l’usage du logiciel est impossible ou diminué, APPEL 24/24 n’apportant pas la preuve en l’espèce "que son défaut ne prêtera à conséquence que dans le futur, s’agissant d’agendas à court terme ". Nous soulignions, dans nos précédents écrits que l’action s’exerce à bref délai et spécialement à partir de la découverte du vice. Les magistrats de Créteil précisent que ce bref délai est bien dépassé ! En effet, il paraît peu crédible pour les juges, d’affirmer que le vice lié à l’an 2000 vient d’être découvert, dans la mesure où les risques liés au non-passage à l’an 2000 des logiciels connaissent un retentissement médiatique depuis quelques années !

C’est la motivation retenue pour écarter les dispositions de l’article 1615 du Code Civil, "[APPEL 24/24] n’établit pas qu’à l’époque il existait sur le marché des logiciels assurant le passage à l’an 2000 sur le marché des logiciels assurant le passage à l’an 2000 qui conforteraient l’existence d’un site serveur 3000 par compris aux produits de la concurrence".

Enfin, on notera, que fort logiquement, le tribunal rejette l’argument tiré de la responsabilité des produits défectueux. Nous rappelons que l’un des sujets qui suscita le plus de discussions portait sur l’application dans le temps de ces nouvelles dispositions (article 1386 et suivant du Code Civil). Sur la rétroactivité de cette loi, les principes du droit français ne le permettaient pas. (13)

Par contre, la loi aurait pu considérer l’applicabilité au contrat déjà signé pour les produits non encore mis en circulation.

L’article 21 de la loi du 19 mai 1998 a tranché (conformément à l’article 17 de la directive (14)), seuls les produits mis en circulation après la date d’entrée en vigueur de la loi pourront bénéficier des nouvelles dispositions du Code Civil.

     

B. Le devoir d’information du prestataire

L’obligation d’information a la particularité d’être une obligation qui est le plus souvent exécutée avant la conclusion du contrat, mais dont l’inexécution ou la mauvaise exécution peut entraîner la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du professionnel. Pour le problème lié à l’an 2000, l’obligation d’information ne porte bien entendu pas sur l’existence du passage à l’an 2000, qui est un fait connu de tous, mais sur l’incapacité du logiciel à traiter les dates postérieures au 31.12.1999. Cette obligation se subdivise en trois catégories d’obligations : l’obligation de renseignement, de conseil et de mise en garde. En l’espèce, APPEL 24/24 reprochait à NOVATEL COMMUNICATION d’avoir manqué à son égard à son devoir d’informations et de conseils en ne l’avertissant pas que le progiciel, objet du litige, était impacté par l’an 2000. Dès lors, APPEL 24/24 considérait que son prestataire avec commis une faute au regard de l’article 1602 du Code Civil. Les juges vont appliquer des principes constants en droit de l’informatique et rappeler notamment que l’obligation de renseignement incombe aux professionnels et implique une information précise et claire émanant de ce dernier. Plus précisément, le professionnel doit donner tous renseignements utiles quant à la capacité du bien vendu. L’obligation de renseignement du fournisseur envers son client sera différente selon que le client est un professionnel ou un profane. En l’espèce, les magistrats précisent que "le vendeur professionnel n’est pas tenu de s’informer auprès d’un client lui-même professionnel des conditions d’utilisations prévues ni de porter à sa connaissance des caractéristiques dont il était en mesure d’apprécier la portée ", puis et surtout que "n’ayant pas conclu de contrat de maintenance avec la société NOVATEL COMMUNICATION en vertu duquel cette dernière serait tenue d’assurer les prestations nécessitées par le passage à l’an 2000, elle ne saurait reprocher à cette dernière une violation de l’article 1602 du Code Civil ".

Ainsi pour les juges, si le client est professionnel, le vendeur n’est pas tenu de s’informer de l’utilisation envisagée par son client du logiciel objet de la vente. Cette affirmation est désormais bien inscrite dans les relations fournisseur/client en droit de l’informatique et pas seulement sur le terrain de la vente.

S’agissant du devoir de conseiller le client en l’interrogeant sur ses besoins, cette obligation qui pèse sur le prestataire suppose que le client ait bien informé le prestataire sur ses réels besoins. Il est là aussi évident que la portée d’une telle obligation s’apprécie différemment selon que le client est plus ou moins averti.

En l’espèce, les juges ont pu affirmer que "Si de façon générale, un devoir de conseil pèse sur tout professionnel, même en dehors du contrat de vente, et dès lors même qu’il s’agit d’une prestation de service, il est également acquis que ce devoir ne s’impose que vis-à-vis d’une clientèle non avertie ".

Enfin, l’obligation d’information implique le devoir de mettre en garde le client sur les risques qu’il peut être amené à prendre.

Dans cette affaire, le client utilisait le progiciel depuis plus de 10 ans et avait même participé à sa mise au point, ce qui ne le mettait pas en position d’ignorer les limites du progiciel. Le tribunal relève d’ailleurs que "sans être aussi qualifiée que la société NOVATEL COMMUNICATION en la matière, elle ne pouvait être que consciente que les possibilités du progiciel qui lui était nécessaire devaient permettre de tenir des agendas professionnels pour un avenir éloigné. "

APPEL 24/24 avait refusé de souscrire un contrat de maintenance, il était clair que NOVATEL COMMUNICATION ne pouvait se voir reprocher par le tribunal de n’avoir pas mis en garde son client.

Cependant, les motivations qui ont été retenues par les magistrats de Créteil pour rappeler que NOVATEL COMMUNICATION n’a pas manqué à ces obligations ; prêtent néanmoins le flanc à la critique. C’est ce qu’il convient d’étudier à présent.

 

II. Portée de la décision

Cette décision n’a pas pour unique particularité d’être l’un des premiers jugements portant sur l’an 2000. Tout d’abord, elle rappelle les règles classiques en la matière et ceci alors que les supputations les plus grandes avaient été formulées par les professionnels de l’informatique (ingénieurs ou juristes confondus) pour traiter du passage à l’an 2000. Cependant, tout en rapportant ces éléments, leur application dans cette affaire soulève quelques critiques.(A). Certes, on regrettera que les moyens soulevés par le demandeur n’aient pas été plus pertinents et ceci quand bien même les évolutions récentes de la problématique an 2000 rendent son traitement de plus en plus difficile (B).

 

A. Le rappel de solutions pas toujours pertinentes

La première réflexion porte sur le choix du contrat de vente. S'il est vrai qu’en jurisprudence, il n’y a pas de qualification juridique unique et constante s’agissant d’une licence d’utilisation d’un logiciel, en revanche les juges lorsqu’ils qualifient le rapport de droit apportent des éléments qui justifient la qualification retenue.

En l’espèce, la pratique prétorienne n’est pas originale puisqu‘elle consiste dans un premier temps pour le juge à rechercher la solution qui lui conviendrait le plus, avant de trouver la règle lui permettant d’y parvenir. Dans cette affaire, le choix du " terrain " de la vente n’est pas anodin. Il permet d’écarter les arguments du demandeur et de les "encadrer" dans un régime juridique unique celui de la vente. Cette qualification exclut donc toute idée de contrat d’entreprise, qui dispose pourtant d’un régime où les obligations de l’entrepreneur vis-à-vis du maître de l’ouvrage sont, de jurisprudence constante, plus favorables pour le second.

Le raisonnement des juges reste constant quant aux arguments tirés du devoir de conseil qui pèse sur le fournisseur. Pour mettre un terme à toute ambiguïté, les magistrats vont dans un premier temps réfuter ces moyens pour la vente. Mais dans un second temps ils vont aller bien plus loin en étendant ces solutions aux prestations de service "et dès lors même qu’il s’agit d’une simple prestation de service. ".

Ainsi, de deux choses l’une : soit nous devons entendre que la règle dégagée par les juges s’applique sans distinction au contrat de vente et à la prestation de service et alors pourquoi uniquement à ceux-là ?  Soit le juge lui-même n’est pas sûr de la qualification à donner au lien juridique entre les parties, et il choisit d’étendre la règle à la prestation de service. Ou bien plus inquiétant encore, et dès lors ce jugement est une révolution, un contrat portant sur un progiciel pourrait être un contrat de vente et une prestation de service à la fois. Près de 20 ans de jurisprudence et d’articles ou colloques pour faire d’un contrat spécial, un contrat générique !

Autre contradiction celle qui consiste à reconnaître le caractère évolutif du domaine informatique mais aussi, le fait que l’ensemble des professionnels n’aient pris en compte que tardivement le phénomène de l’an 2000.

En effet, si l’informatique ne peut se concevoir avec des garanties d’usage perpétuel en raison de l’aléa technique, c’est-à-dire l’imprévisibilité, elle doit néanmoins composer avec des éléments connus de tous qui pourtant n’ont été pris en compte qu’à une date récente ! Nous considérons que l’on ne peut opposer deux notions antinomiques pour dégager une solution aussi peu convaincante. Même les assureurs, dans le traitement de l’an 2000, vont plus loin que les magistrats en essayant de confondre l’aléa et l’événement prévisible !

De surcroît, si le prestataire a proposé, comme le souligne le tribunal, un contrat de maintenance, de ce fait même on pourrait tirer comme argument que si le prestataire s’engage à prendre, au titre de la maintenance, un événement dont l’existence est incertaine, c’est qu'a fortiori, il s’est engagé à prendre en compte un événement tout à fait prévisible et certain : le passage à l’an 2000.

Ne faut-il pas y voir in fine, une motivation habile des juges ayant pour objectif d’éviter pléthore d’actions en justice, en rappelant aux professionnels qu’ils ne pourront finalement se prévaloir de leur propre turpitude ?

L’argument selon lequel la maintenance serait susceptible de permettre à l’utilisateur d’obtenir la communication des sources, est condamnable tout autant.

En effet, la jurisprudence est constante et contraire en la matière. Un simple contrat de maintenance n’ouvre pas à son bénéficiaire le droit d’obtenir de son fournisseur qu’il reprenne la programmation pour la mettre en harmonie avec les nouvelles données. Autrement dit, considérer que seule la maintenance finalement permettrait à l’utilisateur d’obtenir la communication des sources est une erreur de droit.

En d'autres termes, si l’adaptation des logiciels n’est pas un droit, la motivation retenue pour rappeler cette règle n’est pas satisfaisante. Cette pratique est regrettable car elle fait référence à une prétendue "pratique " professionnelle, celle de lier le contrat de licence de logiciel à une maintenance obligatoire, qui, outre le fait qu’elle n’est pas établie, ne peut constituer une source du droit.

Cependant, la position des juges nous semble avoir été grandement facilitée par les moyens invoqués par APPEL 24/24 dans cette affaire. Le demandeur a méconnu le précepte selon lequel toutes situations de fait comparables et identiques ne reçoivent pas la même solution juridique ; la solution dépendant éventuellement de la qualité de certaines parties.

 

B. Des moyens soulevés par APPEL 24/24 peu pertinents mais une problématique qui demeure

On remarque que le demandeur, APPEL 24/24 a soulevé de nombreux moyens en méconnaissant la portée de ces derniers et a laissé au juge le loisir d’appliquer ses propres solutions. Pour autant, le traitement de la problématique demeure et ses remèdes aussi.

Sans reprendre les arguments du demandeur que nous avons pu étudier et développer ci-dessus, nous reviendrons sur quelques moyens peu à propos.

A l’occasion du débat juridique sur la responsabilité liée au passage à l’an 2000 des systèmes d’information, nous avions précisé que nous considérions que l’applicabilité des dispositions de la nouvelle réglementation sur les produits défectueux dans l’esprit de la loi du 18.05.1998, n’était envisageable que pour les produits mis en circulation à compter de son entrée en vigueur (15). Certains auteurs ont estimé que ce nouveau régime de responsabilité de plein droit permettait d’engager la responsabilité automatique des fournisseurs dès lors que l’incapacité d’un logiciel à passer l’an 2000 s’analysait en un défaut de sécurité. Auparavant une réponse ministérielle en date du 17 janvier 1997 avait jeté le trouble dans les esprits en estimant que les coûts afférents aux adaptations nécessaires au passage à l’an 2000 des logiciels devaient être supportés par les prestataires ou fournisseurs pour tous les produits livrés après le 01 janvier 1990 !

Cette analyse juridique suscite deux remarques :

Les arguments tirés de la directive n’auront comme nous l’affirmions, qu’une portée limitée, dans la mesure où il y a peu de chance de voir un fournisseur mettre sur le marché un logiciel sans que celui-ci soit compatible an 2000 ! Par contre quid des adaptations sur un logiciel en fonction avant 1998, comment identifier la part des adaptations sur le logiciel défectueux ? Ou encore quid des logiciels (dans certains cas complexes, notamment des développements intérropérants dans un environnement contradictoire) mise en service avant la nouvelle réglementation et cédés à un tiers après la loi de 98 ?

Nous rappellerons que le régime de la responsabilité ne crée pas d’obligation de maintenance ni de garantie décennale, comme la réponse ministérielle précitée le laisse supposer dans la mesure où le délai de 10 ans n’est qu’un délai de forclusion. En effet, il va simplement interdire à tout utilisateur d’agir sur ce fondement pour les produits mis en circulation au-delà de cette période. Qui plus est, ce régime de responsabilité n’a pas pour objet de réparer les dommages économiques, ce qui rend ce fondement sans grand intérêt sur le plan pratique.

Quant à l’obligation de conseil, le fournisseur a bien l’obligation de "préconiser" à son client un produit qui corresponde à ses besoins. Mais pour pouvoir, sur ce fondement, reprocher au fournisseur la mauvaise exécution de son obligation de conseil, il faudra montrer que le passage à l’an 2000 du logiciel faisait partie des besoins du client, soit que celui-ci les avait exprimés, soit que le fournisseur ne pouvait les ignorer. Ce rappel ne préjuge en rien selon nous que l’obligation de conseil reste le fondement le plus pertinent en matière de litige relatif à l’an 2000.(16)

Il apparaît qu’aucune règle générale ne peut être tirée des développements précédents (que ce soit les moyens soulevés et les solutions dégagées). Seule une étude de chaque situation contractuelle et factuelle permet en vérité d’apprécier la pertinence des fondements et de déterminer qui, du client ou du prestataire, doit supporter financièrement le passage à l’an 2000 du logiciel défectueux.

Ce constat se voit renforcé, par une affaire sur laquelle le tribunal de Grande Instance de Mâcon a pu se prononcer, le 28 septembre 1998 relative à la mise à niveau d'un logiciel permettant de passer l'an 2000.(17)

En l’espèce, une personne avait acquis, en 1986, un logiciel de gestion qui lui donnait entière satisfaction. En 1988, le fournisseur du logiciel avait adressé une lettre à ses clients stipulant expressément : " notre logiciel est garanti gratuitement et sans limite de durée : la maintenance du logiciel est gratuite et sans limite de durée ; la disponibilité des nouvelles versions est gratuite pour tous ".

Se fondant sur ce document, l'utilisateur avait donc demandé à son fournisseur une mise à niveau gratuite du logiciel pour lui permettre de franchir le cap de l'an 2000. C'est cette prétention que les juges de Mâcon ont refusée. Pour le tribunal de Mâcon, d'une part, aucun engagement ne peut être perpétuel mais à l'inverse, tout engagement doit avoir un terme ; d'autre part, la fourniture gratuite de nouvelles versions promises par la lettre du fournisseur ne concerne que des versions caractérisées par l'amélioration du fonctionnement du logiciel "sans que les modifications opérées incluent des fonctionnalités nouvelles non offertes par le logiciel de base ".

Enfin, "la pratique en France des opérations de modifications consécutives au passage à l'an 2000 effectuées dans le cadre de logiciels professionnels existants (...) sont considérées comme la création de modules nouveaux non inclus dans la maintenance contractuelle et justifiant une facturation spécifique des prestations fournies ".

Ainsi, pas de version gratuite pour un vieux logiciel. Là encore, ce que nous avions pu affirmer, en son temps, ne trouve plus de raison d’être.

Le problème de l’an 2000 à travers ces décisions se révèle de plus en plus complexe au fur et à mesure des efforts préparatoires de chacun. Cette évolution du périmètre et l’imprécision qui en résulte excluent de fait la possibilité de définir des orientations fidèles et précises

Pour conclure, nous nous attarderons sur une enquête du quotidien Le Monde (18), qui révèle que la plupart des Micro-ordinateurs certifiés "an 2000" contiennent des puces qui les rendent incapables de passer à 100% le 31.12.1999. L’horloge temps réel des machines n’a pas été modifiée et risque de bloquer le fonctionnement de plusieurs logiciels !

A qui profite le crime ? Au constructeur comme de bien entendu, ils ont trouvé une méthode plus pérenne que les virus ! (19)

Alors que les énergies se déploient pour réguler l’Internet, qu’il existe déjà en matière de Télécoms des autorités de régulations, n’est-il pas temps d’encadrer l’industrie informatique qui ne cesse de voir son rôle croître dans notre société sans aucune contrepartie ? (20)

A. M.


Notes

 

  1. Alexandre MENAIS " Passage an 2000 : Réflexions sur les aspects juridiques "; mai 1998, http://www.juriscom.net/
  2. Ministère de l’Economie et des Finances, le rapport THERY, juillet 1998, http://www.finances.gouv.fr 
  3. " Passage à l’an 200 publication d’un livre blanc ", les Echos 21.12.1998 ; l’ensemble des autorités de tutelle du secteur financier cherche à sensibiliser les acteurs sur l’enjeu du passage à l’an 2000, en leur communiquant un guide.
  4. Circulaire du 5 novembre 1998, relative aux dispositions à prendre par les administrations de l’Etat et les organismes placés sous contrôle de l’Etat dans la perspective du passage à l’an 2000 des système informatiques et des systèmes techniques utilisant des microprogrammes, http://www.premier-ministre.gouv.fr/SYSTELEC2000/CIRCU.HTM . Ainsi que "Lionel Jospin sonne le branle-bas de combat " Le Monde du 20.11.1998 p. 25.
  5. " An 2000 : le gouvernement décrète la mobilisation générale " les Echos du 27.11.1998 p. 22 et 28.11 1998 et " An 2000 : La France veille au bug " Libération du 27.11.1998 p. 22. Le gouvernement  français va mettre en place une série de mesures destinées à aider les entreprises et les services publics à régler les problèmes posés par l’an 2000. Le coût des travaux menés par l’Etat pour ses services pourrait atteindre 12 à 13 Milliards. Parmi ces mesures, on relèvera la création d’un comité national pour le passage à l’an 2000, réunissant acteurs privés et publics, la diffusion d’une brochure d’informations à 2,2 millions de PME. La DGCCRF (répression des fraudes) fera la chasse aux abus en matière de produits présentés comme étant compatible an 2000. Puis il y aura le lancement d’une campagne radiophonique de sensibilisation, enfin une extension au problème de l’an 2000 des mesures fiscales et peut être sociales prévues pour le passage à l’Euro ; http://www.an2000.gouv.fr
  6. Dans la mesure où la quasi-totalité des assureurs exclut la garantie an 2000 dans les polices des contrats d’assurance, certains produits RC Dirigeant d’entreprise se créent néanmoins pour garantir les éventuelles responsabilités du chef d’entreprise qui pourraient se produire.
  7. Olivier ITEANU, " Premières décisions judiciaires sur l’an 2000 " Informatique Magazine, 30.11.1998 p. 119. 
  8. MM. les Professeurs CROZE et SAUNIER " Logiciels retour aux sources ", JCP 1996, éd G, I, 542.
  9. Jérôme HUET, Herbert MAISL " Droit de l’Informatique et des télécommunications ", Litec,1989.
  10. TGI Melun, 2 juin 1988, MP, Nov. 89, n°245.
  11. Alain BENSOUSSAN, commentaire sur ce jugement, Expertises octobre 1998, p.306.
  12. Nous constaterons que cette position diverge au sein même du jugement pour le devoir de conseil.
  13. Alexandre MENAIS " La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité des produits défectueux ", Juillet 98, http://www.juriscom.net/
  14. Directive 85/374/CEE du Conseil des Communautés Européennes du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité des produits défectueux (Markovits LGDJ " la directive du 27 mai 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux " 1990).
  15. Alexandre MENAIS " La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité des produits défectueux ", Juillet 98 http://www.juriscom.net/
  16. C. LESTANC " le logiciel au 1er janvier 2000 ", Lamy Droit de l’informatique, janvier 1997 , http://www.lamy.fr.
  17. Stéphane LEMARCHAND et Sandrine RAMBAUD, T.G.I de Mâcon, Chambre Civile 28 septembre 1998, Jean M. et Georges R. / Bel Air informatique, Expertises Décembre 1998, p. 398 et s.
  18. " Informatique : le Grand Bluff de l’an 2000 " Le Monde du 20.11.1998, p.1 et 15
  19. Sylvie ROZENFELD " Responsabilité des éditeurs antivirus " Expertises Novembre 1998 p. 328.
  20. La Floride et la Californie viennent d'entamer la discussion d'un projet de loi visant à limiter la responsabilité des entreprises informatiques dont les systèmes vendus ne seraient pas capables de passer le cap de l'an 2OOO. Cette limitation de responsabilité est soumise à la condition que l'entreprise informatique ait prévenu ses clients au plus tard le 1" septembre 1999 du fait que, malgré tous ses efforts, elle n'a pas réussi à résoudre la question du changement de millénaire. Pour l'instant le Sénat de l'Etat de Californie refuse ce texte, mais celui de l'Etat de Floride semble l'examiner avec plus de bienveillance.

 

Ouvrage de référence

  • Commission Bancaire, Livre Blanc du Secteur Financier "le passage à l’an 2000 " 1998

A consulter sur Juriscom.net :

- Réflexions sur les aspects juridiques du passage à l'an 2000
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Bug de l'an 2000 : première décision en faveur des utilisateurs - Tendance ou cas d’espèce ?,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- L'audit des contrats informatiques
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Que faire à l'aube de l'an 2000 ?
(Revue de presse), de Juliette Aquilina ;
- Texte du jugement du Tribunal de commerce de Créteil du 16 juin 1998 (affaire Novatel) ;
- Texte de l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 4 février 1999 (affaire Bel Air Informatique).

 

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