Introduction
Voici bientôt sept mois, nous
tentions de proposer aux internautes (1) une approche juridique de la problématique liée
au passage à lan 2000. Nous avions fait part de notre inquiétude du désintérêt
des institutionnels, notamment français. A ce jour, cet état des lieux peut sembler un
peu péremptoire. Même si lévaluation du risque est difficile à établir, tous
les acteurs du monde économique et politique se placent désormais face à un risque
maximal et par conséquent tentent de déployer un programme daction et de
sauvegarde aussi exhaustif que possible.
Il est vrai quà la
décharge des entreprises, il y a eu, entre temps le rapport THERY (2) et son
absence de conséquences, des positions de la doctrine, pas toujours convaincantes, ou
encore les réflexions dinstitutionnels souvent partiales (3). Plus récemment, une
circulaire du Premier Ministre (4) est venue sensibiliser ladministration sur les
difficultés liées au passage à lan 2000 et la nécessité de mobiliser
lensemble des acteurs, ladministration devant se comporter dune manière
exemplaire ! (5) Bien tardive, cette prise de conscience collective se traduit dans
les faits par une véritable "panique " qui nous semble être orchestrée par
des sociétés de services profitant de cette aubaine pour augmenter leur chiffre
daffaire !
Quant aux constructeurs
dordinateurs et éditeurs, ils traînent les pieds pour effectuer les corrections
nécessaires, afin de protéger leur bénéfice. Mais il y a pire, puisque les
informaticiens semblent eux aussi avoir sous-estimé lampleur de leurs tâches. Ces
derniers reconnaissent que tout ne sera pas fait pour le jour J. Autrement dit, même les
premiers partis ne subiront pas "le zéro bogue " ! Or,
lapparition des dysfonctionnements mettra en jeu la responsabilité des dirigeants,
pour certains à légard des autorités de contrôle, dans le cadre de la
réglementation (par exemple pour les établissements financiers), mais aussi vis-à-vis
de la clientèle, qui attend un service inchangé. Même si le partage des
responsabilités contractuelles nest pas toujours clairement défini ni facile à
établir, les fournisseurs pourraient également voir leur responsabilité engagée.
Les dirigeants dentreprise
ont pris conscience que les éventuelles possibilités dassurance, qui
savèrent très limitées, ne sauraient les protéger contre le risque dune
interruption de services (6). Les solutions que nous avions pu préconiser (les démarches
vers les fournisseurs qui consistent, par réflexe naturel, à se couvrir dun écrit
par avance de léventualité dune poursuite judiciaire), laissaient présager
que chaque affaire serait traitée au coup par coup démontrant la bonne fois et les
efforts de chacun, pour aboutir in fine à des explications dans les prétoires...
Nous avions pu mettre en exergue que lapproche juridique du passage à lan
2000 devait sinscrire dans une démarche globale de lentreprise. Nous
précisions aussi que la démarche contentieuse nétait bien évidemment pas la
démarche prioritaire. En cela, laudit juridique des relations contractuelles
constitue un outil plus efficace. Pour autant, nous présagions que les premières
décisions judiciaires sur le passage à lan 2000 susciteraient lattention des
différents institutionnels, parties prenantes dans cette affaire. Or, pour la première
fois en France, un tribunal vient de rendre une décision à propos de la responsabilité
dun prestataire commercialisant un logiciel impacté an 2000 (7).
Dans cette affaire, deux
questions étaient posées au Tribunal de commerce de Créteil :
- Doit-on imposer la communication à son
utilisateur des codes-sources dun progiciel inadapté au passage à lan
2000 ?
- Quelle est létendue du devoir de conseil
dun fournisseur de logiciel ?
Les faits de lespèce sont
les suivants : La société APPEL 24/24 utilise un progiciel dénommé
"serveur 3000" développé par la société SERIC, laquelle, en 1987, a
procédé à une cession partielle de son fond à la société NOVATEL COMMUNICATION.
Depuis cette cession, cette dernière commercialise et assure la maintenance non exclusive
du progiciel "serveur 3000".
Fin 1994, la société NOVATEL
COMMUNICATION fait lobjet dune procédure de redressement judiciaire suivie
dun plan de continuation.
Le 11 février 1997, la société
NOVATEL COMMUNICATION informait par courrier APPEL 24/24 que le progiciel utilisé par
cette dernière, conçu à lorigine par la société SERIC ne lavait pas été
pour gérer les dates postérieures à la fin du siècle.
Cependant la société NOVATEL
COMMUNICATION précisait à APPEL 24/24 quelle était en mesure de lui proposer un
contrat de maintenance permettant dassurer la mise à niveau du progiciel litigieux.
Le client de NOVATEL
COMMUNICATION refusait cette proposition. Il assignait en référé son fournisseur pour
manquement à ses obligations contractuelles, obtenait un nantissement judiciaire du
progiciel, mais ce dernier fut rétracté et confirmé en appel, qui avait été
interjeté par ce même client.
Certainement grisé par ce
premier succès, entre temps, APPEL 24/24 demandait la communication des codes sources.
Une procédure sur le fond était engagée.
Le tribunal de Créteil a jugé
quil ny a pas, en droit français, dobligation légale de fournir le
programme source, permettant à lutilisateur final de ladapter à lan
2000, pour une société qui commercialise un progiciel dont elle nest pas
lauteur.
Le tribunal juge ainsi que le
devoir de conseil du professionnel ne simpose pas lorsquil sadresse à
un autre professionnel, à plus forte raison lorsque ce dernier utilise le progiciel
incriminé depuis plusieurs années.
Pour porter un commentaire sur ce
jugement, il convient de démontrer que ce dernier ne bouleverse en rien lacquis
juridique en la matière (I). Mais, nous remarquerons quà certains égards, le
tribunal prend des positions qui peuvent paraître critiquables et, surtout, quil
na pas été amené à apprécier la problématique an 2000 avec des moyens
opportuns (II).
I. Une décision qui
sinscrit dans une constante jurisprudentielle
Le tribunal de Créteil était
amené à se prononcer sur la communication des codes sources (A) et sur le devoir de
conseil dun prestataire de service (B).
A. Doit-on
imposer la communication des codes sources dun progiciel inadapté ?
La société NOVATEL
COMMUNICATION nétait pas lauteur du progiciel incriminé. Elle avait reçu,
par acte de cession partielle un droit de commercialisation et de maintenance de façon
non exclusive. De sorte que, le titulaire des droits de propriété intellectuelle
demeurait la société créatrice du progiciel, à savoir la société SERIC.
Autrement dit, la société
NOVATEL COMMUNICATION ne pouvait, au regard des droits dont elle disposait sur le
progiciel, fournir elle-même les codes sources. Il lui appartenait dès lors de
transmettre cette demande à la société SERIC.
Pour éviter toute équivoque, il
convient de distinguer la détention des sources et la propriété du progiciel. Sur le
plan juridique, il nest pas contradictoire de remettre un exemplaire des codes
sources tout en gardant la propriété sur le progiciel.
Le tribunal nen conclut pas
pour autant quil y a une obligation légale de communication des codes sources dans
le cadre dun contrat de licence et/ou de maintenance. En effet, SERIC était
assigné in solidum.
A contrario
A contrario, il ne faut pas
en conclure que le refus de communication pourrait se fonder sur labsence dune
cession de droit dauteur ! Rien de tel, dans la mesure où ce qui prédomine
cest la volonté commune des parties de fixer les modalités daccès aux
sources., il ne faut pas
en conclure que le refus de communication pourrait se fonder sur labsence dune
cession de droit dauteur ! Rien de tel, dans la mesure où ce qui prédomine
cest la volonté commune des parties de fixer les modalités daccès aux
sources.
Pour reprendre les propos des
professeurs Croze et Saunier (8), la notion de source peut recevoir plusieurs
définitions : ainsi, la remise des sources est certainement due si la propriété du
programme est transmise à celui qui la commandé. Dans le cas dune simple
licence dutilisation, il est normal, quoique non obligatoire, pour
lutilisateur de disposer des sources ; en revanche, il est franchement choquant
pour ces auteurs quil ne puisse plus y accéder quand son fournisseur ne peut plus
assurer la maintenance. Enfin, la distinction entre logiciel spécifique et progiciel
naurait quune valeur indicative. Lactivité dune entreprise
utilisatrice peut être tout autant perturbée si elle est privée dun progiciel
important ou dun logiciel spécifique. En lespèce, il est constant que la
propriété na pas été transmise dans cette affaire.
De plus, on remarquera
quAPPEL 24/24 na pas cherché à se placer sur le terrain de la poursuite ou
non des contrats en cours dans les procédures collectives. Quoiquil en soit, cet
argument naurait pas été pertinent, dans la mesure où le juge rappelle que la
maintenance avait été proposée au client et que celui-ci a préféré la refuser (ce
qui pourtant peut paraître logique, à quoi bon souscrire un contrat de maintenance avec
une entreprise dont la pérennité est menacée !).
Le dernier élément de
lanalyse des auteurs précités mérite que lon y prête attention, puisque
les juges ne partagent pas la même position. Curieusement, les magistrats de Créteil
demeurent très imprécis quant à définition du produit, objet du litige. La société
NOVATEL COMMUNICATION exposait que le " Serveur 3000 " était en
réalité "un progiciel cest-à-dire un produit standard dont le client doit
vérifier ladéquation à ses besoins ". Le défendeur avait tout
intérêt à retenir cette définition. La nature du produit, à savoir pour NOVATEL
COMMUNICATION un progiciel, détermine létendue de ses obligations à légard
de APPEL 24/24. Le demandeur quant à lui reste muet sur le sujet.
Pour le tribunal il se trouve que
". la preuve nest pas apportée par APPEL 24/24 quelle a acquis le
progiciel litigieux à ces dates" puis que " APPEL 24/24
napporte aucune preuve en ce sens, quelle a utilisé jusquici son
logiciel sans difficulté ".
Sauf erreur de notre part, le
droit de linformatique considère quil existe une différence entre un
progiciel et un logiciel ? (9)
Or, APPEL 24/24 aurait participé
"à la mise au point" du progiciel, objet du litige. La définition
imprécise de la "mise au point", nous empêche daboutir à une
conclusion absolue. Pour autant, il est constant quun progiciel mis à disposition
par un prestataire informatique fera quasiment toujours lobjet dune mise au
point. Mais les us et coutumes de linformatique obligent les juges dans cette
hypothèse à qualifier les interventions du fournisseur informatique (les juges de
Créteil se montreront beaucoup plus opportuniste en utilisant ces " sources du
droit " pour dégager une solution de labsence de contrat de maintenance
(supra)). Néanmoins, la requalification de progiciel en logiciel ne peut être à notre
sens écarté dans cette affaire. Elle serait pertinente tant sur le plan du droit, que
sur le plan de lopportunité.
Cette distinction prend toute sa
force dans lobligation qui pèse sur le fournisseur de mettre à disposition les
sources à lutilisateur. A cet égard, les tribunaux manifestent un certain souci
déviter que le fournisseur ne puisse abuser dune position de supériorité et
que lutilisateur ne soit pas trop démuni.
Rappelons que certains tribunaux
ont considéré quen matière de logiciel, lutilisateur devait pouvoir
disposer dune solution lui permettant dadapter le logiciel à ses besoins,
sans devoir faire appel à la société fournisseur, les sources constituant un accessoire
de la prestation fournie.(10)
Enfin, sur le plan de
lopportunité Cette requalification aurait eu pour mérite de justifier en droit les
moyens tirés de larticle 1615 du Code Civil, qui étaient soulevés par APPEL 24/24
pour le droit à la communication des sources. Dautant plus que les magistrats, sans
recourir à lultra petita, (hypothèse dun détournement des
dispositions des articles 4 et suivant du NCPC) avaient considéré que les règles en
matière de vente trouvaient à sappliquer pour la délivrance "qu'elle
devait avoir pour conséquence en la matière d'imposer la garantie d'un usage perpétuel
dans un domaine technique, particulièrement évolutif et où il est constant que les
impératifs du passage à l'an 2000 n'ont pas été pris en compte par l'ensemble des
professionnels jusquà une date récente". (11)
En outre, la société APPEL
24/24 toujours sur le terrain de la vente (12), réclamait lapplication de la
garantie des vices cachés (article 1641 du Code Civil).
Le tribunal rejette cette
application au motif "quAppel 24/24 n'apporte aucune preuve en ce sens,
qu'elle a utilise jusqu'ici son logiciel sans difficulté, et que son défaut ne prêtera
à conséquence que dans le futur, s'agissant de la tenue d'agendas à court terme ;
qu'enfin elle n'établit pas qu'à l'époque il existait sur le marché des logiciels
assurant le passage à l'an 2000 qui conforteraient lexistence d'un vice de Serveur
3000 par comparaison aux produits similaires de la concurrence ; qu'enfin, elle invoque la
directive européenne dont elle reconnaît quelle n'est pas en vigueur en
France ".
Là encore, le juge nexclut
pas la qualification de contrat de vente, en appliquant le régime de la garantie des
vices cachés. Un vice caché est un défaut que lutilisateur ne doit pas avoir
été en mesure de déceler lors de la délivrance et qui rend le bien impropre à
lusage auquel il est destiné. En lespèce "attendu quAPPEL
24/24 napporte aucune preuve en ce sens quelle a utilisé son logiciel sans
difficulté ". Le vice caché doit être distingué de lobsolescence
ou de lusure normale et ceci, même si les juges ne le reprennent pas in extenso,
cela est sous-entendu par le rappel de la qualité du produit défectueux. Enfin, la
victime se doit, dans le cadre dune action en garantie des vices cachés contre le
fournisseur du logiciel, de prouver que lusage du logiciel est impossible ou
diminué, APPEL 24/24 napportant pas la preuve en lespèce "que son
défaut ne prêtera à conséquence que dans le futur, sagissant dagendas à
court terme ". Nous soulignions, dans nos précédents écrits que
laction sexerce à bref délai et spécialement à partir de la découverte du
vice. Les magistrats de Créteil précisent que ce bref délai est bien dépassé !
En effet, il paraît peu crédible pour les juges, daffirmer que le vice lié à
lan 2000 vient dêtre découvert, dans la mesure où les risques liés au
non-passage à lan 2000 des logiciels connaissent un retentissement médiatique
depuis quelques années !
Cest la motivation retenue
pour écarter les dispositions de larticle 1615 du Code Civil, "[APPEL
24/24] nétablit pas quà lépoque il existait sur le marché des
logiciels assurant le passage à lan 2000 sur le marché des logiciels assurant le
passage à lan 2000 qui conforteraient lexistence dun site serveur 3000
par compris aux produits de la concurrence".
Enfin, on notera, que fort
logiquement, le tribunal rejette largument tiré de la responsabilité des produits
défectueux. Nous rappelons que lun des sujets qui suscita le plus de discussions
portait sur lapplication dans le temps de ces nouvelles dispositions (article 1386
et suivant du Code Civil). Sur la rétroactivité de cette loi, les principes du droit
français ne le permettaient pas. (13)
Par contre, la loi aurait pu
considérer lapplicabilité au contrat déjà signé pour les produits non encore
mis en circulation.
Larticle 21 de la loi du 19
mai 1998 a tranché (conformément à larticle 17 de la directive (14)), seuls les
produits mis en circulation après la date dentrée en vigueur de la loi pourront
bénéficier des nouvelles dispositions du Code Civil.
B. Le devoir dinformation
du prestataire
Lobligation
dinformation a la particularité dêtre une obligation qui est le plus souvent
exécutée avant la conclusion du contrat, mais dont linexécution ou la mauvaise
exécution peut entraîner la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du
professionnel. Pour le problème lié à lan 2000, lobligation
dinformation ne porte bien entendu pas sur lexistence du passage à lan
2000, qui est un fait connu de tous, mais sur lincapacité du logiciel à traiter
les dates postérieures au 31.12.1999. Cette obligation se subdivise en trois catégories
dobligations : lobligation de renseignement, de conseil et de mise en
garde. En lespèce, APPEL 24/24 reprochait à NOVATEL COMMUNICATION davoir
manqué à son égard à son devoir dinformations et de conseils en ne
lavertissant pas que le progiciel, objet du litige, était impacté par lan
2000. Dès lors, APPEL 24/24 considérait que son prestataire avec commis une faute au
regard de larticle 1602 du Code Civil. Les juges vont appliquer des principes
constants en droit de linformatique et rappeler notamment que lobligation
de renseignement incombe aux professionnels et implique une information précise et claire
émanant de ce dernier. Plus précisément, le professionnel doit donner tous
renseignements utiles quant à la capacité du bien vendu. Lobligation de
renseignement du fournisseur envers son client sera différente selon que le client est un
professionnel ou un profane. En lespèce, les magistrats précisent que "le
vendeur professionnel nest pas tenu de sinformer auprès dun client
lui-même professionnel des conditions dutilisations prévues ni de porter à sa
connaissance des caractéristiques dont il était en mesure dapprécier la portée ",
puis et surtout que "nayant pas conclu de contrat de maintenance avec la
société NOVATEL COMMUNICATION en vertu duquel cette dernière serait tenue
dassurer les prestations nécessitées par le passage à lan 2000, elle ne
saurait reprocher à cette dernière une violation de larticle 1602 du Code Civil ".
Ainsi pour les juges, si le
client est professionnel, le vendeur nest pas tenu de sinformer de
lutilisation envisagée par son client du logiciel objet de la vente. Cette
affirmation est désormais bien inscrite dans les relations fournisseur/client en droit de
linformatique et pas seulement sur le terrain de la vente.
Sagissant du devoir de
conseiller le client en linterrogeant sur ses besoins, cette obligation qui pèse
sur le prestataire suppose que le client ait bien informé le prestataire sur ses réels
besoins. Il est là aussi évident que la portée dune telle obligation
sapprécie différemment selon que le client est plus ou moins averti.
En lespèce, les juges ont
pu affirmer que "Si de façon générale, un devoir de conseil pèse sur tout
professionnel, même en dehors du contrat de vente, et dès lors même quil
sagit dune prestation de service, il est également acquis que ce devoir ne
simpose que vis-à-vis dune clientèle non avertie ".
Enfin, lobligation
dinformation implique le devoir de mettre en garde le client sur les risques
quil peut être amené à prendre.
Dans cette affaire, le client
utilisait le progiciel depuis plus de 10 ans et avait même participé à sa mise au
point, ce qui ne le mettait pas en position dignorer les limites du progiciel. Le
tribunal relève dailleurs que "sans être aussi qualifiée que la société
NOVATEL COMMUNICATION en la matière, elle ne pouvait être que consciente que les
possibilités du progiciel qui lui était nécessaire devaient permettre de tenir des
agendas professionnels pour un avenir éloigné. "
APPEL 24/24 avait refusé de
souscrire un contrat de maintenance, il était clair que NOVATEL COMMUNICATION ne pouvait
se voir reprocher par le tribunal de navoir pas mis en garde son client.
Cependant, les motivations qui
ont été retenues par les magistrats de Créteil pour rappeler que NOVATEL COMMUNICATION
na pas manqué à ces obligations ; prêtent néanmoins le flanc à la
critique. Cest ce quil convient détudier à présent.
II. Portée de la décision
Cette décision na pas
pour unique particularité dêtre lun des premiers jugements portant sur
lan 2000. Tout dabord, elle rappelle les règles classiques en la matière et
ceci alors que les supputations les plus grandes avaient été formulées par les
professionnels de linformatique (ingénieurs ou juristes confondus) pour traiter du
passage à lan 2000. Cependant, tout en rapportant ces éléments, leur application
dans cette affaire soulève quelques critiques.(A). Certes, on regrettera que les moyens
soulevés par le demandeur naient pas été plus pertinents et ceci quand bien même
les évolutions récentes de la problématique an 2000 rendent son traitement de plus en
plus difficile (B).
A. Le rappel de solutions pas
toujours pertinentes
La première réflexion porte
sur le choix du contrat de vente. S'il est vrai quen jurisprudence, il ny a
pas de qualification juridique unique et constante sagissant dune licence
dutilisation dun logiciel, en revanche les juges lorsquils qualifient le
rapport de droit apportent des éléments qui justifient la qualification retenue.
En lespèce, la pratique
prétorienne nest pas originale puisquelle consiste dans un premier temps pour
le juge à rechercher la solution qui lui conviendrait le plus, avant de trouver la règle
lui permettant dy parvenir. Dans cette affaire, le choix du
" terrain " de la vente nest pas anodin. Il permet
décarter les arguments du demandeur et de les "encadrer" dans un régime
juridique unique celui de la vente. Cette qualification exclut donc toute idée de contrat
dentreprise, qui dispose pourtant dun régime où les obligations de
lentrepreneur vis-à-vis du maître de louvrage sont, de jurisprudence
constante, plus favorables pour le second.
Le raisonnement des juges reste
constant quant aux arguments tirés du devoir de conseil qui pèse sur le fournisseur.
Pour mettre un terme à toute ambiguïté, les magistrats vont dans un premier temps
réfuter ces moyens pour la vente. Mais dans un second temps ils vont aller bien plus loin
en étendant ces solutions aux prestations de service "et dès lors même
quil sagit dune simple prestation de service. ".
Ainsi, de deux choses
lune : soit nous devons entendre que la règle dégagée par les juges
sapplique sans distinction au contrat de vente et à la prestation de service et
alors pourquoi uniquement à ceux-là ? Soit le juge lui-même nest pas
sûr de la qualification à donner au lien juridique entre les parties, et il choisit
détendre la règle à la prestation de service. Ou bien plus inquiétant encore, et
dès lors ce jugement est une révolution, un contrat portant sur un progiciel pourrait
être un contrat de vente et une prestation de service à la fois. Près de 20 ans de
jurisprudence et darticles ou colloques pour faire dun contrat spécial, un
contrat générique !
Autre contradiction celle qui
consiste à reconnaître le caractère évolutif du domaine informatique mais aussi, le
fait que lensemble des professionnels naient pris en compte que tardivement le
phénomène de lan 2000.
En effet, si linformatique
ne peut se concevoir avec des garanties dusage perpétuel en raison de laléa
technique, cest-à-dire limprévisibilité, elle doit néanmoins composer avec
des éléments connus de tous qui pourtant nont été pris en compte quà une
date récente ! Nous considérons que lon ne peut opposer deux notions antinomiques
pour dégager une solution aussi peu convaincante. Même les assureurs, dans le traitement
de lan 2000, vont plus loin que les magistrats en essayant de confondre laléa
et lévénement prévisible !
De surcroît, si le prestataire a
proposé, comme le souligne le tribunal, un contrat de maintenance, de ce fait même on
pourrait tirer comme argument que si le prestataire sengage à prendre, au titre de
la maintenance, un événement dont lexistence est incertaine, cest qu'a
fortiori, il sest engagé à prendre en compte un événement tout à fait
prévisible et certain : le passage à lan 2000.
Ne faut-il pas y voir in fine,
une motivation habile des juges ayant pour objectif déviter pléthore
dactions en justice, en rappelant aux professionnels quils ne pourront
finalement se prévaloir de leur propre turpitude ?
Largument selon lequel la
maintenance serait susceptible de permettre à lutilisateur dobtenir la
communication des sources, est condamnable tout autant.
En effet, la jurisprudence est
constante et contraire en la matière. Un simple contrat de maintenance nouvre pas
à son bénéficiaire le droit dobtenir de son fournisseur quil reprenne la
programmation pour la mettre en harmonie avec les nouvelles données. Autrement dit,
considérer que seule la maintenance finalement permettrait à lutilisateur
dobtenir la communication des sources est une erreur de droit.
En d'autres termes, si
ladaptation des logiciels nest pas un droit, la motivation retenue pour
rappeler cette règle nest pas satisfaisante. Cette pratique est regrettable car
elle fait référence à une prétendue "pratique " professionnelle, celle de
lier le contrat de licence de logiciel à une maintenance obligatoire, qui, outre le fait
quelle nest pas établie, ne peut constituer une source du droit.
Cependant, la position des juges
nous semble avoir été grandement facilitée par les moyens invoqués par APPEL 24/24
dans cette affaire. Le demandeur a méconnu le précepte selon lequel toutes situations de
fait comparables et identiques ne reçoivent pas la même solution juridique ; la
solution dépendant éventuellement de la qualité de certaines parties.
B. Des moyens soulevés par
APPEL 24/24 peu pertinents mais une problématique qui demeure
On remarque que le demandeur,
APPEL 24/24 a soulevé de nombreux moyens en méconnaissant la portée de ces derniers et
a laissé au juge le loisir dappliquer ses propres solutions. Pour autant, le
traitement de la problématique demeure et ses remèdes aussi.
Sans reprendre les arguments du
demandeur que nous avons pu étudier et développer ci-dessus, nous reviendrons sur
quelques moyens peu à propos.
A loccasion du débat
juridique sur la responsabilité liée au passage à lan 2000 des systèmes
dinformation, nous avions précisé que nous considérions que lapplicabilité
des dispositions de la nouvelle réglementation sur les produits défectueux dans
lesprit de la loi du 18.05.1998, nétait envisageable que pour les produits
mis en circulation à compter de son entrée en vigueur (15). Certains auteurs ont estimé
que ce nouveau régime de responsabilité de plein droit permettait dengager la
responsabilité automatique des fournisseurs dès lors que lincapacité dun
logiciel à passer lan 2000 sanalysait en un défaut de sécurité. Auparavant
une réponse ministérielle en date du 17 janvier 1997 avait jeté le trouble dans les
esprits en estimant que les coûts afférents aux adaptations nécessaires au passage à
lan 2000 des logiciels devaient être supportés par les prestataires ou
fournisseurs pour tous les produits livrés après le 01 janvier 1990 !
Cette analyse juridique suscite
deux remarques :
Les arguments tirés de la
directive nauront comme nous laffirmions, quune portée limitée, dans
la mesure où il y a peu de chance de voir un fournisseur mettre sur le marché un
logiciel sans que celui-ci soit compatible an 2000 ! Par contre quid des
adaptations sur un logiciel en fonction avant 1998, comment identifier la part des
adaptations sur le logiciel défectueux ? Ou encore quid des logiciels (dans
certains cas complexes, notamment des développements intérropérants dans un
environnement contradictoire) mise en service avant la nouvelle réglementation et cédés
à un tiers après la loi de 98 ?
Nous rappellerons que le régime
de la responsabilité ne crée pas dobligation de maintenance ni de garantie
décennale, comme la réponse ministérielle précitée le laisse supposer dans la mesure
où le délai de 10 ans nest quun délai de forclusion. En effet, il va
simplement interdire à tout utilisateur dagir sur ce fondement pour les produits
mis en circulation au-delà de cette période. Qui plus est, ce régime de responsabilité
na pas pour objet de réparer les dommages économiques, ce qui rend ce fondement
sans grand intérêt sur le plan pratique.
Quant à lobligation de
conseil, le fournisseur a bien lobligation de "préconiser" à son client
un produit qui corresponde à ses besoins. Mais pour pouvoir, sur ce fondement, reprocher
au fournisseur la mauvaise exécution de son obligation de conseil, il faudra montrer que
le passage à lan 2000 du logiciel faisait partie des besoins du client, soit que
celui-ci les avait exprimés, soit que le fournisseur ne pouvait les ignorer. Ce rappel ne
préjuge en rien selon nous que lobligation de conseil reste le fondement le plus
pertinent en matière de litige relatif à lan 2000.(16)
Il apparaît quaucune
règle générale ne peut être tirée des développements précédents (que ce soit les
moyens soulevés et les solutions dégagées). Seule une étude de chaque situation
contractuelle et factuelle permet en vérité dapprécier la pertinence des
fondements et de déterminer qui, du client ou du prestataire, doit supporter
financièrement le passage à lan 2000 du logiciel défectueux.
Ce constat se voit renforcé, par
une affaire sur laquelle le tribunal de Grande Instance de Mâcon a pu se prononcer, le 28
septembre 1998 relative à la mise à niveau d'un logiciel permettant de passer l'an
2000.(17)
En lespèce, une personne
avait acquis, en 1986, un logiciel de gestion qui lui donnait entière satisfaction. En
1988, le fournisseur du logiciel avait adressé une lettre à ses clients stipulant
expressément : " notre logiciel est garanti gratuitement et sans limite de durée
: la maintenance du logiciel est gratuite et sans limite de durée ; la disponibilité des
nouvelles versions est gratuite pour tous ".
Se fondant sur ce document,
l'utilisateur avait donc demandé à son fournisseur une mise à niveau gratuite du
logiciel pour lui permettre de franchir le cap de l'an 2000. C'est cette prétention que
les juges de Mâcon ont refusée. Pour le tribunal de Mâcon, d'une part, aucun engagement
ne peut être perpétuel mais à l'inverse, tout engagement doit avoir un terme ;
d'autre part, la fourniture gratuite de nouvelles versions promises par la lettre du
fournisseur ne concerne que des versions caractérisées par l'amélioration du
fonctionnement du logiciel "sans que les modifications opérées incluent des
fonctionnalités nouvelles non offertes par le logiciel de base ".
Enfin, "la pratique en
France des opérations de modifications consécutives au passage à l'an 2000 effectuées
dans le cadre de logiciels professionnels existants (...) sont considérées comme la
création de modules nouveaux non inclus dans la maintenance contractuelle et justifiant
une facturation spécifique des prestations fournies ".
Ainsi, pas de version gratuite
pour un vieux logiciel. Là encore, ce que nous avions pu affirmer, en son temps, ne
trouve plus de raison dêtre.
Le problème de lan 2000 à
travers ces décisions se révèle de plus en plus complexe au fur et à mesure des
efforts préparatoires de chacun. Cette évolution du périmètre et limprécision
qui en résulte excluent de fait la possibilité de définir des orientations fidèles et
précises
Pour conclure, nous nous
attarderons sur une enquête du quotidien Le Monde (18), qui révèle que la plupart des
Micro-ordinateurs certifiés "an 2000" contiennent des puces qui les rendent
incapables de passer à 100% le 31.12.1999. Lhorloge temps réel des machines
na pas été modifiée et risque de bloquer le fonctionnement de plusieurs
logiciels !
A qui profite le crime ? Au
constructeur comme de bien entendu, ils ont trouvé une méthode plus pérenne que les
virus ! (19)
Alors que les énergies se
déploient pour réguler lInternet, quil existe déjà en matière de
Télécoms des autorités de régulations, nest-il pas temps dencadrer
lindustrie informatique qui ne cesse de voir son rôle croître dans notre
société sans aucune contrepartie ? (20)
A. M.
Notes
- Alexandre MENAIS
" Passage an 2000 : Réflexions sur les aspects juridiques "; mai
1998,
http://www.juriscom.net/
- Ministère de
lEconomie et des Finances, le rapport THERY, juillet 1998, http://www.finances.gouv.fr
- " Passage à
lan 200 publication dun livre blanc ", les Echos 21.12.1998 ;
lensemble des autorités de tutelle du secteur financier cherche à sensibiliser les
acteurs sur lenjeu du passage à lan 2000, en leur communiquant un guide.
- Circulaire du 5 novembre
1998, relative aux dispositions à prendre par les administrations de lEtat et les
organismes placés sous contrôle de lEtat dans la perspective du passage à
lan 2000 des système informatiques et des systèmes
techniques utilisant des microprogrammes, http://www.premier-ministre.gouv.fr/SYSTELEC2000/CIRCU.HTM
. Ainsi que "Lionel Jospin sonne le branle-bas de combat " Le Monde du
20.11.1998 p. 25.
- " An 2000 :
le gouvernement décrète la mobilisation générale " les Echos du 27.11.1998 p. 22
et 28.11 1998 et " An 2000 : La France veille au bug "
Libération du 27.11.1998 p. 22. Le gouvernement français va mettre en place une
série de mesures destinées à aider les entreprises et les services publics à régler
les problèmes posés par lan 2000. Le coût des travaux menés par lEtat pour
ses services pourrait atteindre 12 à 13 Milliards. Parmi ces mesures, on relèvera la
création dun comité national pour le passage à lan 2000, réunissant
acteurs privés et publics, la diffusion dune brochure dinformations à 2,2
millions de PME. La DGCCRF (répression des fraudes) fera la chasse aux abus en matière
de produits présentés comme étant compatible an 2000. Puis il y aura le lancement
dune campagne radiophonique de sensibilisation, enfin une extension au problème de
lan 2000 des mesures fiscales et peut être sociales prévues pour le passage à
lEuro ; http://www.an2000.gouv.fr
- Dans la mesure où la
quasi-totalité des assureurs exclut la garantie an 2000 dans les polices des contrats
dassurance, certains produits RC Dirigeant dentreprise se créent néanmoins
pour garantir les éventuelles responsabilités du chef dentreprise qui pourraient
se produire.
- Olivier ITEANU,
" Premières décisions judiciaires sur lan 2000 " Informatique
Magazine, 30.11.1998 p. 119.
- MM. les Professeurs CROZE
et SAUNIER " Logiciels retour aux sources ", JCP 1996, éd G, I, 542.
- Jérôme HUET, Herbert
MAISL " Droit de lInformatique et des
télécommunications ", Litec,1989.
- TGI Melun, 2 juin 1988,
MP, Nov. 89, n°245.
- Alain BENSOUSSAN,
commentaire sur ce jugement, Expertises octobre 1998, p.306.
- Nous constaterons que
cette position diverge au sein même du jugement pour le devoir de conseil.
- Alexandre MENAIS
" La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité des produits
défectueux ", Juillet 98, http://www.juriscom.net/
- Directive 85/374/CEE du
Conseil des Communautés Européennes du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des
dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en
matière de responsabilité des produits défectueux (Markovits LGDJ " la directive
du 27 mai 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux " 1990).
- Alexandre MENAIS
" La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité des produits
défectueux ", Juillet 98 http://www.juriscom.net/
- C. LESTANC " le
logiciel au 1er janvier 2000 ", Lamy Droit de linformatique,
janvier 1997 , http://www.lamy.fr.
- Stéphane LEMARCHAND et
Sandrine RAMBAUD, T.G.I de Mâcon, Chambre Civile 28 septembre 1998, Jean M. et Georges R.
/ Bel Air informatique, Expertises Décembre 1998, p. 398 et s.
- " Informatique :
le Grand Bluff de lan 2000 " Le Monde du 20.11.1998, p.1 et 15
- Sylvie ROZENFELD
" Responsabilité des éditeurs antivirus " Expertises Novembre
1998 p. 328.
- La Floride et la
Californie viennent d'entamer la discussion d'un projet de loi visant à limiter la
responsabilité des entreprises informatiques dont les systèmes vendus ne seraient pas
capables de passer le cap de l'an 2OOO. Cette limitation de responsabilité est soumise à
la condition que l'entreprise informatique ait prévenu ses clients au plus tard le
1" septembre 1999 du fait que, malgré tous ses efforts, elle n'a pas réussi à
résoudre la question du changement de millénaire. Pour l'instant le Sénat de l'Etat de
Californie refuse ce texte, mais celui de l'Etat de Floride semble l'examiner avec plus de
bienveillance.
Ouvrage de référence
- Commission Bancaire, Livre Blanc du Secteur
Financier "le passage à lan 2000 " 1998
A consulter sur Juriscom.net :
-
Réflexions sur les aspects juridiques du
passage à l'an 2000
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Bug de l'an 2000 : première
décision en faveur des utilisateurs - Tendance ou cas despèce ?,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- L'audit des contrats informatiques
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Que faire à l'aube de l'an
2000 ?
(Revue de presse), de Juliette Aquilina ;
- Texte du jugement du
Tribunal de commerce de Créteil du 16 juin 1998 (affaire Novatel) ;
- Texte de l'arrêt de la
Cour d'appel de Dijon du 4 février 1999 (affaire Bel Air Informatique). |