Le mannequin et lhébergeur
Cour d'appel de Paris
Arrêt rendu en référé le 10 février 1999
Estelle H. c/ Valentin L.
Le 10 février 1999, la responsabilité de Valentin
Lacambre, gestionnaire dun service dhébergement, a été retenue par la Cour d'appel de Paris.
Cet arrêt va à lencontre des principes dexonération préconisés par la
Commission européenne.
Estelle Hallyday avait demandé en référé au Tribunal de grande
instance de Paris, d'enjoindre Valentin Lacambre, gestionnaire du service
dhébergement Altern.org, de mettre un terme à la diffusion sur Internet, opérée
par le propriétaire du site Silversurfer, de clichés la représentant dénudée.
D'autre part, le mannequin demandait la condamnation du même fournisseur d'hébergement
à payer une indemnité provisionnelle pour l'atteinte portée à son image.
La décision de première
instance
Par ordonnance du 9 juin 1998,
le Tribunal fit injonction à lhébergeur, sous astreinte de 100.000 francs par
jour, de " mettre en uvre les moyens de nature à rendre impossible
toute diffusion des clichés photographiques en cause à partir de lun des sites
quil héberge ". La demande d'une somme provisionnelle fut rejetée,
le tribunal estimant que la question de la responsabilité du fournisseur
dhébergement relevait de la compétence du juge du fond.
La motivation du juge des
référés était ambiguë. En effet, dune part, il posa en principe que :
" S'agissant de lhébergement dun service dont ladresse est
publique et qui est donc accessible à tous, le fournisseur dhébergement a, comme
tout utilisateur du réseau, la possibilité daller vérifier le contenu du site
quil héberge et en conséquence de prendre le cas échéant, les mesures de nature
à faire cesser le trouble qui aurait pu être causé à un tiers (...) ".
Ce faisant, le Tribunal semblait bien considérer que le fournisseur dhébergement
avait une obligation de contrôle et de surveillance des sites hébergés.
Dautre part, le juge des
référés ajouta : " Le fournisseur dhébergement devra donc justifier
du respect des obligations mises à sa charge, spécialement quant à linformation
de lhébergé sur lobligation de respecter le droit de la personnalité, le
droit des auteurs, des propriétaires de marque, de la réalité des vérifications
quil aura opérées, au besoin par des sondages et diligences quil aura
accomplies dès la révélation dune atteinte aux droits des tiers pour faire cesser
cette atteinte ".
En énonçant que le fournisseur
dhébergement devra justifier du respect des obligations mises à sa charge
" dès révélation dune atteinte aux droits des tiers ",
il pourrait être soutenu que le premier juge a en réalité estimé que le prestataire
devait échapper à toute responsabilité dès lors quil aurait entrepris les
mesures nécessaires pour faire cesser le trouble illicite, après que lon eût
porté à sa connaissance latteinte aux droits des tiers. Toutefois, le Tribunal se
réfère également à des vérifications et " sondages ", ce qui
pourrait laisser penser que les diligences à accomplir peuvent également être de nature
préventive.
Larrêt de la Cour
dappel : anonymat et responsabilité de type éditoriale
Par arrêt du 10 février 1999,
la Cour dappel de Paris a infirmé lordonnance en ce quelle avait
prescrit des mesures d'interdiction, au motif qu'"au moment de la saisine du juge,
les photographies litigieuses nétaient plus accessibles et avaient été retirées
du site en cause. " Selon le premier juge, il ny avait donc plus
matière à référé quant à ce chef de demande.
Elle a réformé également
l'ordonnance en ce qu'elle avait rejeté l'indemnité provisionnelle sollicitée, au motif
que : " en offrant, comme en lespèce, dhéberger et en
hébergeant de façon anonyme, sur le site altern.org quil a créé et quil
gère, toute personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait la demande aux
fins de mise à disposition du public ou de catégories de public de signes ou de signaux,
décrits, dimages, de sons ou de messages de toute nature qui nont pas
le caractère de correspondances privées, Valentin Lacambre excède manifestement le
rôle technique dun simple transmetteur dinformations ".
Estimant lhébergeur
capable de contrôler lensemble des quelque 47500 comptes enregistrés sur ses
services (!), la Cour précise que Valentin Lacambre " doit,
dévidence, assumer à légard des tiers aux droits desquels il serait porté
atteinte dans de telles circonstances, les conséquences dune activité quil
a, de propos délibérés, entrepris dexercer (
) ".
En conséquence, la Cour affirme
que " la diffusion des photographies litigieuses, dans les conditions
décrites précédemment, engage manifestement [la responsabilité de Valentin Lacambre]
et justifie loctroi à Madame Estelle Hallyday, dont latteinte au droit à
limage et à lintimité de la vie privée, ainsi que le préjudice qui en
résulte, ne sont ni contestables, ni contestés, une provision sur dommages et
intérêts, ... fixée à 300.000 francs (
) "
Larrêt est donc à la fois
plus claire et plus sévère que lordonnance des référés. Pour la première fois
en France, une Cour d'appel se prononce explicitement sur la responsabilité civile d'un
fournisseur d'hébergement par rapport aux contenus illicites ou dommageables des sites
hébergés. Il est bien entendu à craindre que la généralisation d'une telle
jurisprudence impose aux fournisseurs d'hébergement français une obligation permanente
de contrôle éditorial, et par voie de conséquence,
une délocalisation de ceux-ci
sous des cieux plus cléments. Est-ce vraiment le but recherché ?
Fondamentalement, en
labsence de systèmes de filtrage efficaces et reconnus légalement au niveau
européen voire mondial, est-il raisonnable dattribuer une telle responsabilité à
un hébergeur ? Il est évident quil lui est impossible en pratique de
procéder au contrôle systématique de milliers de pages Web, susceptibles dêtre
modifiées à chaque instant par ses abonnés. Quand bien même pourrait-il exercer un tel
contrôle, le statut de type éditorial lui conférerait des obligations plus lourdes encore que
celles dun éditeur classique, dont le contrôle ne porte que sur quelques pages
" fixes " et non modifiables. Larrêt de la Cour dappel
mérite dêtre critiqué en ce sens quil impose aux fournisseurs
dhébergement une obligation irréaliste et irréalisable.
Il nest pas inutile de
rappeler que la Cour de cassation sest prononcée dans un sens contraire, par un
arrêt du 15 novembre 1990, en matière dhébergement dun service
" Minitel " (1). Elle a en effet estimé que le
fournisseur dhébergement ne pouvait être tenu pour responsable du contenu illicite
dun service hébergé, sauf bien sûr sil en avait connaissance. Cette
jurisprudence ne devrait-elle pas être a fortiori de rigueur en matière
dhébergement de sites Internet, en général en nombre beaucoup plus
important ?
Il serait toutefois légitime de
se demander si la décision de la Cour dappel na pas été fondamentalement
motivée par lanonymat du propriétaire du site Silversurfer.
Lhébergeur ayant permis au véritable coupable dêtre hors datteinte,
le juge aurait naturellement reporté la responsabilité des agissements de ce dernier sur
Valentin Lacambre. Pourtant, le propriétaire de Silversurfer aurait pu être
identifié aisément, dans la mesure où l'anonymat ne portait que sur le site Web.
Certains ont déjà objecté
qu " [en refusant] de donner le nom du fournisseur de
contenus, dont on peut se demander s'il existe ", Valentin Lacambre
sest rendu par lui-même responsable (2). De son côté, Valentin
Lacambre souligne
quaucune information sur lhébergé ne lui a été demandée, alors même
quil disposait des moyens pour lidentifier. Peut-on reprocher à
lhébergeur de ne pas avoir spontanément livré le nom du véritable
responsable ? Il appartiendra au juge du fond de trancher la question.
Un arrêt à contre-courant
Dans cette affaire, la Cour
d'appel de Paris a pris une position contraire à celle actuellement préconisée par la
Commission européenne dans sa proposition de directive du 18 novembre 1998 relative à certains
aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur (articles 12 à 15).
En effet, la Commission
européenne, s'inspirant directement de la récente législation américaine relative au
droit d'auteur sur les autoroutes de l'information (" Digital Millenium Copyright
Act " du 21 octobre 1998, voir infra), y défend
le principe de l'exonération de responsabilité des fournisseurs d'accès et
d'hébergement, à certaines conditions.
Certes, l'article 14 énonce
que : " Lexonération de responsabilité, en ce qui concerne une action
en dommages, ne peut être accordée si le prestataire de services a connaissance de faits
et de circonstances selon lesquels lactivité illicite est apparente. "
La proposition de directive
tempère toutefois immédiatement cette disposition par le paragraphe suivant :
" Les prestataires de services ne seront pas privés du bénéfice de
lexonération si, après avoir eu effectivement connaissance du caractère illicite
de lactivité ou après avoir pris connaissance de faits ou de circonstances selon
lesquels une activité illicite est apparente, ils prennent rapidement des mesures pour
retirer les informations ou rendre laccès à celles-ci impossible. "
Or, avant même que le premier
juge des référé ait eu à statuer, Valentin Lacambre avait pris les mesures
nécessaires pour interrompre la diffusion du contenu illicite. Tout porte a croire
quil a entrepris cette action peu de temps après avoir pris connaissance du trouble
survenu. Là encore, la question sera peut-être tranchée par le juge du fond.
Précisons enfin que, comme la
loi américaine, la proposition de directive rejette dans lensemble
lapplication dune quelconque responsabilité éditoriale. L'article 15 en
témoigne, puisquil exonère expressément les fournisseurs d'accès et
d'hébergement de toute obligation en matière de surveillance ou de recherche active des
infractions. Par conséquent, ils ne peuvent être directement tenus, pénalement ou
civilement, pour responsables de tout ce qui transite par leurs services.
T. V. et L. T.
Notes
1. Cass.crim. 15 nov.
1990, G.P. 91, p.179, et note DOUCET.
2. réaction de Me Bitoun
publiée dans les cahiers Multimédia de Libération le 19 février 1999.
Annexes
I.
Extraits de la proposition de directive
SECTION 4: RESPONSABILITÉ
DES INTERMÉDIAIRES SECTION 4: RESPONSABILITÉ
DES INTERMÉDIAIRES
Cette section fixe des limites en
matière de responsabilité des prestataires de services de la Société de
linformation, lorsquils jouent le rôle "dintermédiaires", en
ce qui concerne les agissements illicites dautres personnes. Seules sont couvertes
les activités des intermédiaires en ligne. Elles sont caractérisées par le fait: 1)
que les informations sont fournies par les destinataires du service, et 2) que les
informations sont transmises ou stockées à la demande des destinataires du service. Par
"destinataire" du service, il convient dentendre la personne qui donne les
informations en ligne ainsi que celle qui a accès à ces informations et/ou qui les
récupère. Le terme "informations", tel quil est utilisé dans cette
section, doit être entendu au sens large.
Dautres types
dactivités qui constituent également des services de la société de
linformation ne sont pas concernés ici parce quaucun nouveau problème propre
à lInternet na été décelé dans ce domaine. Ainsi, par exemple, la vente
de billets davion par une agence de voyage en ligne (même si lagence vend les
billets pour le compte de la compagnie aérienne) ne peut être considérée comme une
activité de simple transport ou dhébergement des informations des tiers et donc ne
tombe pas dans les limites établies par la directive.
Les limites en matière de
responsabilité sont établies de manière horizontale; en dautres termes, elles
concernent la responsabilité pour tous les types dactivités illicites auxquels se
livrent des tiers en ligne (par exemple, la piraterie dans le domaine du droit
dauteur, la concurrence déloyale, la publicité trompeuse, etc.). Il convient
cependant de préciser que les dispositions de cette section naffectent pas le droit
matériel qui régit les différentes infractions qui peuvent être concernées. Cette
section se borne à limiter la responsabilité. Si un prestataire de services ne remplit
pas les conditions pour bénéficier de cette limitation, la nature et létendue de
sa responsabilité devront être établies sur la base de la législation nationale. La
distinction en ce qui concerne la responsabilité nest pas fondée sur le type
dopérateur, mais sur le type dactivité exercé. Le fait quun
prestataire remplit les conditions pour être exonéré de responsabilité pour une
activité donnée ne lexonère pas de sa responsabilité pour toutes ses autres
activités.
Article 12 Simple transport
"mere conduit"
Larticle 12 institue
une exonération de responsabilité pour les activités de transmission
dinformations sur les réseaux de communication lorsque le prestataire de services
joue un rôle passif qui consiste à véhiculer les informations pour des tiers (les
destinataires du service).
Cette exonération de
responsabilité couvre à la fois les cas où un prestataire de services pourrait être
tenu directement responsable dune infraction et ceux où il pourrait être jugé
responsable à titre accessoire dune infraction commise par une autre personne
(par exemple en tant que complice). En ce qui concerne les types dactivités
couverts par cet article, une action en dommages ne peut être engagée à lencontre
du prestataire pour quelque forme de responsabilité que ce soit. De même, le prestataire
ne peut faire lobjet de poursuites pénales. Cet article nexclut pas cependant
la possibilité dune action en cessation.
Paragraphe 1
Pour que lexonération
puisse sappliquer, il faut que les informations transmises soient "fournies par
le destinataire du service". Lorsque le prestataire de services transmet ses propres
informations, on ne saurait alors considérer quil se livre à une activité
intermédiaire. De même, sil modifie les informations elles-mêmes au cours de leur
transmission. Pour bénéficier dune exonération de responsabilité, trois
conditions qui doivent être remplies cumulativement.
Lexigence selon laquelle le
prestataire ne doit pas être à lorigine de la transmission signifie quil ne
doit pas être la personne qui prend la décision deffectuer cette transmission. Le
fait quun prestataire procède automatiquement à une transmission à la demande
dun destinataire de son service ne doit pas avoir pour conséquence quil soit
considéré comme étant à lorigine de cette transmission. Lexigence que le
prestataire ne doit pas sélectionner les destinataires de cette transmission ne couvre
pas toutefois la sélection des destinataires effectuée automatiquement en réponse à la
demande de la personne à lorigine de la transmission (par exemple, la demande
dun utilisateur quun courrier électronique soit envoyé à un agent gérant
un fichier dadresses). La troisième exigence est que le prestataire ne doit pas
sélectionner ni modifier les informations faisant lobjet de la transmission.
Paragraphe 2
Le stockage intermédiaire et
transitoire, qui a lieu au cours de la transmission de linformation pour permettre
cette transmission, est couvert par lexonération pour activité de "simple
transport".
Seules les activités de stockage
qui ont lieu au cours de la transmission de linformation et qui visent uniquement à
permettre lexécution de cette transmission seront couvertes par
lexonération. Ces activités de stockage nincluent pas les copies que fait le
prestataire dans le but de mettre les informations à la disposition dutilisateurs
ultérieurs. Ces activités de stockage font lobjet de larticle 13.
Le terme "automatique"
fait référence au fait que le stockage seffectue dans le cadre du fonctionnement
normal de la technologie considérée. Le terme "intermédiaire" fait
référence au fait que le stockage de linformation seffectue au cours de la
transmission. Le terme "transitoire" fait référence au fait que le stockage
est effectué pour un laps de temps limité. Il convient néanmoins dindiquer que la
durée du stockage des informations ne doit pas dépasser le temps raisonnablement
nécessaire à la transmission.
Article 13 "Caching"
Cet article couvre des formes de
stockage temporaire que lon appelle le plus souvent "system caching".
Cette forme de stockage est faite par le prestataire de service avec lobjectif
daccroître les performances et la rapidité des réseaux numériques. Elle ne
constitue pas en tant que telle une exploitation séparée de linformation
transmise. Ainsi, des copies de linformation mise en ligne et transmise par des
tiers sont faites et gardées de façon temporaire dans le système, ou le réseau, de
lopérateur pour faciliter laccès ultérieur des utilisateurs à
linformation. Ces copies sont le résultat dun processus technique et
automatique et elles sont "intermédiaires" entre là où linformation est
initialement rendue accessible dans le réseau et lutilisateur final.
Pour pouvoir être exempté
dune responsabilité qui pourrait éventuellement lui être opposée pour ce type de
stockage, le prestataire de service doit respecter certaines conditions.
Article 14 Hébergement
Paragraphe 1
Larticle 14 institue
une limite de responsabilité en ce qui concerne lactivité de stockage des
informations fournies par les destinataires du service, stockage effectué à leur demande
(par exemple, la fourniture dun espace serveur pour le site web dune
entreprise ou dun particulier, pour un BBS, un forum, etc.).
Lexonération de
responsabilité (en ce qui concerne la responsabilité tant civile que pénale) ne peut
être accordée si le prestataire de service a connaissance de ce quun utilisateur
de son service se livre à une activité illicite (connaissance effective).
Lexonération de responsabilité, en ce qui concerne une action en dommages, ne peut
être accordée si le prestataire de services a connaissance de faits et de circonstances
selon lesquels lactivité illicite est apparente.
Les prestataires de services ne
seront pas privés du bénéfice de lexonération si, après avoir eu effectivement
connaissance du caractère illicite de lactivité ou après avoir pris connaissance
de faits ou de circonstances selon lesquels une activité illicite est apparente, ils
prennent rapidement des mesures pour retirer les informations ou rendre laccès à
celles-ci impossible.
Ce principe, énoncé au
deuxième tiret du paragraphe, constitue une base sur laquelle les différentes parties
intéressées peuvent effectivement mettre en place des procédures permettant de notifier
au prestataire de services des informations qui sont à lorigine dune
activité illicite, et dobtenir le retrait de ces informations ou une interdiction
daccès (procédures parfois appelées "procédures de notification et de
retrait" - "notice and take down procedures"). On soulignera
néanmoins que ces procédures ne se substituent pas aux voies de recours judiciaires
existantes et ne sauraient le faire.
La Commission encourage
activement des systèmes dautoréglementation, y compris létablissement de
codes de conduite et de lignes directes*.
Paragraphe 2
Ce paragraphe prévoit que
lorsque le destinataire du service agit sous lautorité ou le contrôle du
prestataire, larticle 14 ne sapplique pas. On soulignera que le terme
contrôle, ici, fait référence au contrôle des activités et non à celui des
informations elles-mêmes.
Article 15 Absence
dobligation en matière de surveillance
Cet article prévoit que les
prestataires ne doivent se voir imposer aucune obligation générale de vérifier ou de
contrôler activement le contenu des informations de tiers.
Cette règle générale
nexclut pas quun tribunal ou la police puisse demander à un prestataire de
services de contrôler, par exemple, un site spécifique pendant une période donnée,
afin dempêcher ou de combattre une activité illicite particulière.
Voy. également la décision du 25 janvier 1999 du Parlement
européen et du Conseil de lUnion européenne dadopter un "plan
daction" sur trois ans en vue dune utilisation plus sûre
dInternet. Il est prévu de débloquer un budget de 25 millions deuros, pour
la mise en place de ce plan daction, qui associera étroitement les acteurs
professionnels du réseau.
Le plan sarticule autour de quatre "actions"
principales :
1- créer un environnement électronique plus sûr . Dune
part, il sagit de mettre en place un réseau de "hot-lines", en
particulier sur les serveurs des fournisseurs daccès et de services, où les
usagers pourraient "dénoncer" les contenus jugés manifestement illégaux. Il
est à noter que de telles "hot-lines" sur Internet existent déjà
dans certains pays, comme au Royaume-Uni ("Safety Net Foundation") et
en France (créée le 17 novembre 1998 par lAssociation des Fournisseurs
daccès, http://www.afapc.org). Dautre
part, les fournisseurs daccès et de services seront invités à développer un code
de conduite. A terme, il est envisagé de délivrer des "labels de qualité" aux
fournisseurs qui adhèrent au code de conduite.
2- développer et standardiser des systèmes fiables détiquetage
et de filtrage des informations sur le réseau. A cet effet, il est prévu de favoriser la
coopération internationale afin que les futurs systèmes puissent être uniformisés à
léchelle mondiale.
3- encourager des actions de sensibilisation et dinformation du
public (en particulier les parents et les professionnels de léducation quant aux
dangers potentiels de lutilisation dInternet pour les mineurs).
4- favoriser la coopération européenne et mondiale sur les questions
juridiques suscitées par les mesures précitées (loi applicable, liberté
dexpression etc).
Une telle initiative doit être saluée, dans la mesure où elle donne
la priorité pour le moment à lautorégulation du réseau, qui est et restera
probablement la seule voie efficace permettant de contenir à terme la propagation des
contenus illicites.
II. Commentaires des
principales dispositions du chapitre intitulé "Online copyright infringement
liability limitation" de la loi américaine "Digital Millenium
Copyright Act"
Par Maître Thibault Verbiest
Le 21 octobre 1998, le Congrès américain a adopté une loi
(" Digital Millenium Copyright Act"), dont un chapitre ("Limitations on Liability for Copyright
Infringement"), organise un régime dimmunité des "service
providers" en matière de contrefaçon, moyennant le respect dune série
de conditions et de procédures.
Par "service providers", la loi entend les
fournisseurs daccès et dhébergement, ainsi que les fournisseurs
dautres services, comme les fournisseurs d "information location
tools, such as directories, indexes and hypertext links". Lobjectif du
législateur américain, pressé par les principaux fournisseurs daccès et
dhébergement du pays, a été double. Il sagissait en effet dune part
de restaurer la sécurité juridique en donnant des directives claires aux tribunaux, dont
la jurisprudence nétait pas fixée, quant aux cas possibles de mise en cause de la
responsabilité des intermédiaires du réseau. Dautre part, il simposait de
briser le cercle vicieux suivant : lorsquun "service provider"
est mis en demeure par un titulaire de "copyright" de supprimer un site
prétendument contrefaisant, et que lopérateur de ce dernier conteste avoir commis
une contrefaçon, le "service provider" pourrait voir sa
responsabilité engagée tant par le premier, pour avoir facilité la propagation
dune contrefaçon, que par le second, pour avoir abusivement supprimé
laccès, lhébergement ou le référencement dun site quil
prétend légal.
Pour que le fournisseur puisse bénéficier du régime
dexonération de responsabilité, à légard de toutes les parties en cause,
les principales conditions requises sont les suivantes :
- Le fournisseur ne peut être à lorigine du contenu, ni le
modifier.
- Aucune copie du "matériel", pendant le stockage
intermédiaire ("intermediate storage"), ne peut être maintenue pour
une durée excédant ce qui est "raisonnablement nécessaire".
- Le fournisseur ne peut avoir une connaissance de fait ("actual
knowledge") que le "matériel" ou lactivité est contrefaisante.
Plus spécifiquement :
Il ne peut être au courant de faits ou de circonstances indiquant
quune activité contrefaisante est apparente.
Dès quil est mis au courant, il doit faire toute diligence pour
retirer ou désactiver laccès au site.
- Le fournisseur ne peut recevoir un avantage financier en relation
directe avec lactivité contrefaisante, dans le cas où le fournisseur a le droit et
la capacité de contrôler lactivité.
- La transmission, lacheminement, la fourniture de connexion ou
le stockage doivent être effectués par un procédé technique automatique.
- Le fournisseur ne peut interférer avec la "technologie
associée au matériel", (exemple : des codes daccès)
- Le fournisseur doit se conformer aux procédures suivantes :
- "notice and takedown" procedures. Si le titulaire
dun copyright a des raisons légitimes de croire quun site est contrefaisant
et quil en fait part au fournisseur, ou si le fournisseur apprend, dune autre
manière, lexistence dun tel site, le fournisseur doit faire toute diligence
pour retirer le contenu contrefaisant ou supprimer laccès au site, sous peine
dengager sa responsabilité. Dans le cadre de cette procédure, le fournisseur doit
:
- désigner un "agent" pour réceptionner les "notices",
et placer une "hot-line" sur son site à cet effet.
- porter à la connaissance de lU.S. Copyright Office lidentité
de lagent.
- vérifier que les notifications reçues répondent à une série de
conditions de forme (informations suffisantes pour identifier les uvres protégées
litigieuses, références précises des adresses Internet où se trouvent
luvre et ses prétendues contrefaçons, déclaration sur lhonneur du
prétendu titulaire du copyright quil nexiste aucune justification légale
pour lexploitation de son uvre par le tiers en cause...)
- "notice and put back" procedures. Si
lopérateur du site prétendument contrefaisant, averti par le fournisseur, adresse
une "counter notice", affirmant sur lhonneur que lusage des
uvres litigieuses est légal, le fournisseur doit, dans les meilleurs délais,
notifier au titulaire du copyright la "counter notice" et, dans les
quatorze jours ouvrables, "réactiver" le site, à moins que laffaire
nait été portée en justice dans lintervalle. La "counter notice"
doit également contenir une série de mentions formelles, dont lengagement de
lopérateur du site de se soumettre le cas échéant à une procédure
juridictionnelle ou, sil est établi à létranger, à un "organisme
judiciaire approprié".
La loi met également à charge des fournisseurs dautres
obligations, comme celle de développer une procédure spéciale permettant de bloquer
laccès ou le référencement des sites notoirement contrefaisants, ou de ne pas
compromettre les mesures techniques "standards" utilisées par les titulaires de
copyright pour identifier et protéger leurs oeuvres, telles que les marquages ou les
codes daccès.
Il est essentiel de noter que la loi dispose expressément que les
fournisseurs nont aucune obligation de surveillance.
Les principales différences avec la proposition de directive sont
donc les suivantes :
1. La proposition de la Commission a un champ dapplication plus
large en ce quelle vise toutes les activités illicites, et non seulement les
atteintes au droit dauteur. Cest bien entendu à saluer.
2. Aucune procédure de traitement des litiges par voie électronique
nest organisée. Larticle 17 de la proposition ("réglement
extrajudiciaire des litiges") se borne à cet égard à prévoir que les Etats
membres veilleront "à ce que leur législation permette, en cas de désaccord entre
un prestataire et un destinataire dun service de la société de linformation,
lutilisation effective de mécanismes de règlement extrajudiciaire, y compris par
les voies électroniques appropriées." Ce renvoi aux législations nationales est
certainement une erreur, dans la mesure où, selon la plupart des droits européens,
les tribunaux sont compétents dès que lacte illicite ou dommageable est reçu ou
produits ses effets sur le territoire national, avec pour conséquence quen matière
dInternet, tous les juges dEurope ont une compétence universelle. Par
exemple, en France, une telle compétence en matière pénale est expressément prévue
par larticle 113-2 du Code pénal (consécration légale de la théorie dite de
lubiquité, connue dans la plupart des pays de droit civiliste, comme la Belgique
par exemple). Le danger est donc que les fournisseurs européens soient obligés de se
conformer en même temps à différentes procédures de traitement non-contentieuses, le
cas échéant contraignantes selon le droit local. Une uniformisation est donc souhaitable
à cet égard.
3. Seuls sont concernés les fournisseurs daccès et
dhébergement (y compris ceux qui se livrent au "caching"), à
lexclusion dautres fournisseurs de services, comme les outils de recherche,
par exemple.
A nouveau, nous regrettons cette omission (volontaire selon les dires
mêmes de la Commission), dans la mesure où elle est source de discrimination. Ainsi,
comment pourrait-on justifier quun fournisseur doutil de recherche soit tenu
responsable de lindexation dun site illégal alors quun hébergeur
serait exonéré de toute responsabilité pour lavoir hébergé, au motif quil
se serait conformé au prescrit dune directive ?
Notre souhait est donc que la Commission poursuive ses réflexions, pour finalement
parvenir à un vrai régime européen de responsabilité des intermédiaires, qui soit
cohérent, et qui puisse viser lensemble des "fournisseurs de services",
au sens défini par la récente loi américaine.
Voir également sur Juriscom.net :
- Quelle responsabilité pour les acteurs de l'Internet ?
(Espace "Professionnels"), de Thibault Verbiest ;
- Les hébergeurs dans les
filets de la justice (Espace "Internautes"), de Lionel Thoumyre ;
- La responsabilité des prestataires
techniques sur Internet dans le Digital Millenium Copyright Act amécicain et le projet de
directive européen sur le commerce électronique
(Espace "Professionnels), de Valérie Sédallian ;
- La mise à
disposition de pages Web est-elle dangereuse ?
(Chroniques), de Gérard Haas et Olivier de Tissot.
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