acteur
incontestable de progrès, lInternet est également devenu, comme chacun sait, le
vecteur sans frontières de nombreuses illégalités et abus (pornographie enfantine,
haine raciale, diffamation, atteintes au droit dauteur, etc). Les premiers
responsables demeurent bien entendu les auteurs de ces diffusions dommageables ou
illicites, quelles aient lieu par exemple dans un forum discussion, sur un site Web,
voire par courrier électronique. Toutefois, les poursuites contre lauteur dun
message répréhensible peuvent savérer totalement illusoires ou inefficaces, soit
parce quil est impossible de lidentifier ou de lappréhender dans un
pays lointain, soit parce quil est manifestement insolvable. Cest dans ce
contexte que des actions ont été intentées dans plusieurs pays contre certains
fournisseurs Internet.
Les fournisseurs daccès
Un jugement dun tribunal néerlandais du 12 mars 1996 a précisé
que, dans la mesure où le fournisseur daccès mis en cause ne faisait
quoffrir des moyens techniques permettant de porter à la connaissance du public des
services, il ne pouvait être tenu pour responsable du contenu de ceux-ci, sauf si la
situation lui était connue.
Cette décision illustre parfaitement le courant majoritaire qui
commence à se dessiner à léchelle mondiale en la matière : un fournisseur
daccès, qui nassume aucune responsabilité
" éditoriale " du contenu des sites, et dont lintervention est
purement technique, sera tenu pour co-responsable des contenus illégaux ou dommageables
quil permet de relayer que sil avait ou devait avoir connaissance de la
présence de tels contenus sur son réseau. Dès lors quil acquiert la connaissance
de lexistence de pareils contenus, il lui incombe de faire le nécessaire pour y
mettre fin, dans la mesure de ses moyens, sous peine dengager sa responsabilité. En
pratique, sauf si la situation est portée à sa connaissance par un tiers (une
association de protection des consommateurs, ou le ministère public, par exemple), et
quil sabstient dagir pour y mettre fin, le fournisseur daccès
devra en principe échapper à toute responsabilité, dans la mesure où il lui est
impossible de contrôler lénorme quantité dinformations qui transitent sans
cesse par ses installations.
Toutefois, il convient de relever que, se fondant sur une disposition
du Communication
Decency Act, la Cour Suprême des Etats-Unis a jugé le 22
juin 1998 que le fournisseur daccès American OnLine ne pouvait être tenu
responsable en ce qui concerne des informations diffamatoires publiées sur son serveur
commercial et émanant de tiers, même sil en avait eu connaissance. En
conséquence, selon la Cour, le fournisseur daccès na aucune obligation de
les supprimer de son réseau, et sil décide néanmoins de le faire, il sera
considéré comme agissant tout simplement en " bon samaritain ".
Cet arrêt instaure donc clairement un régime dimmunité des
fournisseurs daccès, à contre-courant de la tendance jurisprudentielle mondiale.
Pareille jurisprudence devrait être ignorée en Europe à un double titre :
dune part, elle se fonde sur une disposition fédérale américaine qui na pas
déquivalent dans les législations européennes, et dautre part, elle est
contraire aux principes élémentaires applicables en Europe en matière de complicité
pénale et de responsabilité civile.
Les fournisseurs dinfrastructure
Les fournisseurs dinfrastructure sont les sociétés de
télécommunication et les câblodistributeurs qui permettent le transport
" matériel " des informations sur le réseau. Ils sont donc des
intervenants purement techniques. Toutefois, à linstar des fournisseurs
daccès, la mise en cause de leur responsabilité nest pas exclue
lorsquils ont eu connaissance du caractère illicite de certaines informations ayant
transité par leur système. Ainsi, dans un jugement du 17 février 1995, un tribunal
fédéral suisse a condamné un fonctionnaire responsable des PTT du chef de complicité
de publications obscènes, pour sêtre abstenu de mettre fin aux activités
dun infokiosque rose, alors que le ministère public avait attiré son attention sur
les pratiques illégales du serveur.
Les fournisseurs dhébergement
De nombreuses sociétés commerciales et personnes publiques
(universités, établissements publics) offrent dhéberger, en général contre
rémunération, des pages Web sur leurs propres serveurs. Lhébergeur agit donc
comme un " bailleur " : il loue un emplacement sur le Web où le
" locataire " pourra publier ce quil veut. A ce titre, sa
responsabilité devrait être appréciée de la même manière que pour les fournisseurs
daccès, dans la mesure où il ne contrôle pas la multitude dinformations
diffusées sur les sites hébergés. La Cour de cassation de France sest
dailleurs prononcée dans ce sens, par un arrêt du 15 novembre 1990 rendu en
matière dhébergement dun service " Minitel ". Une
réserve devrait néanmoins être apportée : lorsquun fournisseur
dhébergement attribue une adresse Internet (URL) à un nouveau site, il a le
pouvoir de contrôler le contenu des fichiers des pages web qui lui sont remis. Dans ce
cas, si, ayant constaté que lactivité projetée est illégale ou dommageable, le
fournisseur accepte néanmoins dhéberger le site, sa responsabilité pourrait être
engagée.
Il est à noter toutefois quune ordonnance de référé du
tribunal de grande instance de Paris rendue le 9 juin 1998, dans laffaire Estelle Halliday / Valentin et Daniel L.,
a été manifestement plus loin. En effet, le tribunal a considéré que " sagissant
de lhébergement dun service dont ladresse est publique et qui est donc
accessible à tous, le fournisseur dhébergement a, comme tout utilisateur du
réseau, la possibilité daller vérifier le contenu du site quil héberge et
en conséquence de prendre le cas échéant, les mesures de nature à faire cesser le
trouble qui aurait pu être causé à un tiers.(...) Le fournisseur dhébergement
devra donc justifier du respect des obligations mises à sa charge, spécialement quant à
linformation de lhébergé sur lobligation de respecter le droit de la
personnalité, le droit des auteurs, des propriétaires de marque, de la réalité des
vérifications quil aura opérées, au besoin par des sondages et diligences
quil aura accomplies dés la révélation dune atteinte aux droits des tiers
pour faire cesser cette atteinte. "
Si une telle jurisprudence devait se généraliser, les fournisseurs
dhébergement se verraient imposer une obligation permanente de contrôle éditorial
difficilement réalisable, voire impossible en pratique pour les fournisseurs hébergeant
des milliers de pages Web, qui, à tout moment, peuvent être modifiées à leur insu.
Les clauses contractuelles
Compte tenu des possibilités de mise en cause de leur
responsabilité, les fournisseurs, en particulier dhébergement, ont tout intérêt
à insérer dans leur contrat une charte de bonne conduite, et diverses clauses
protectrices (clause résolutoire en cas dinfraction constatée dans le chef de
lopérateur du site contrevenant, clause de garantie pour toute condamnation civile
fondée sur une contrefaçon, une atteinte à la vie privée etc).
Lautorégulation : une initiative européenne prometteuse
Le 21 décembre 1998, le Conseil de lUnion européenne a
approuvé un " Plan daction " décrivant une série
dinitiatives à mettre en place entre le premier janvier 1999 et le 31 décembre
2001, afin de promouvoir une utilisation plus sûre de lInternet, en faisant
particulièrement appel à la collaboration des acteurs professionnels du réseau. Il est
prévu pour ce faire de débloquer un budget de 25 millions deuros.
Le plan sarticule autour de quatre
" actions " principales :
1- créer un environnement électronique plus sûr . Dune
part, il sagit de mettre en place un réseau de " hot-lines ",
en particulier sur les serveurs des fournisseurs daccès et de services, où les
usagers pourraient " dénoncer " les contenus jugés manifestement
illégaux. Il est à noter que de telles " hot-lines " sur Internet
existent déjà dans certains pays, comme au Royaume-Uni (" Safety Net
Foundation ") et en France (créée le 17 novembre 1998 par lAssociation
des Fournisseurs daccès, http://www.afapc.org).
Dautre part, les fournisseurs daccès et de services seront invités à
développer un code de conduite. A terme, il est envisagé de délivrer des
" labels de qualité " aux fournisseurs qui adhèrent au code de
conduite.
2- développer et standardiser des systèmes fiables détiquetage
et de filtrage des informations sur le réseau. A cet effet, il est prévu de favoriser la
coopération internationale afin que les futurs systèmes puissent être uniformisés à
léchelle mondiale.
3- encourager des actions de sensibilisation et dinformation du
public (en particulier les parents et les professionnels de léducation quant aux
dangers potentiels de lutilisation dInternet pour les mineurs).
4- favoriser la coopération européenne et mondiale sur les questions
juridiques suscitées par les mesures précitées (loi applicable, liberté
dexpression etc).
Une telle initiative doit être saluée, dans la mesure où elle donne
la priorité pour le moment à lautorégulation du réseau, qui est et restera
probablement la seule voie efficace permettant de contenir à terme la propagation des
contenus illicites.
Il est enfin à noter que, dans le cadre de la réflexion actuelle qui
samorce fort heureusement en la matière, une attention particulière devrait être
portée à certaines solutions pratiques retenues par la récente législation américaine
relative au droit dauteur sur les autoroutes de linformation ("