ar une Ordonnance de référé du 12 mars 1998, le Tribunal de Grande Instance de
Paris a eu à se prononcer sur un type de conflit que lon risque de voir apparaître
de plus en plus fréquemment. Ainsi, une société, constituée en 1996, utilisant comme
raison sociale et nom commercial ALICE utilisait sur le réseau le nom de domaine
alice.fr. Son objet social est principalement la réalisation et la vente de logiciels.
Une autre société ALICE, une agence de publicité, constituée en
1957, ayant déposé la marque ALICE pour les services de la classe 35 à savoir des
activités publicitaires, découvre lexistence de ce site et considère que cela
lempêche de profiter pleinement de ce nouveau média quelle découvre
tardivement.
Elle agit, donc, en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale
à lencontre de lautre société.
Après avoir relevé que la logique de la charte de nommage du Nic
France ne pouvait sappliquer, la magistrat a condamné la société défenderesse à
faire radier son nom de domaine sur le fondement de larticle 1382 du code civil. En
effet, comme certains commentateurs ont pu lécrire, il ne sagit pas là
dune question de droit des marques. Le tribunal na pas visé le Code de la
propriété intellectuelle qui ne pouvait sappliquer en raison du principe de
spécialité. Ainsi, lusage dun terme reproduisant une marque pour des
logiciels ne peut être considéré comme une contrefaçon dune marque déposée
pour des services de la classe 35.
Le fondement de cette décision se situe bel et bien sur le
" véritable droit de propriété " quune entreprise a sur sa
dénomination sociale. Le juge a estimé que la logique informatique, qui ne permet
lapplication du principe de spécialité, ne pouvait conduire à empêcher une
entreprise plus ancienne de bénéficier du nom de domaine correspondant à sa
dénomination, même en labsence de volonté déloyale de la société qui
lavait fait enregistrer en premier.
Cette solution, cependant, paraît un peu brutale et pouvoir devenir
une vraie source dinstabilité juridique sur le réseau.
SUR LE PLAN TECHNIQUE
Dun point de vue technique, une telle solution ne simposait
pas. Comme la souligné Valérie SEDAILLAN, lors dune intervention sur la
liste Droit-net, dautres possibilités soffraient à cette société pour
sidentifier sur le réseau. Tout simplement, elle aurait pu opter pour alice.tm.fr,
ou alice.pub.fr. Grâce à ces noms de domaine, elle aurait pu exister sur Internet, sans
que naisse de préjudice commercial.
Par ailleurs, il est rare de rechercher une société en essayant de
taper directement sa dénomination sociale, mais plutôt par lutilisation de moteurs
de recherche. Ainsi, linternaute aurait eu sous les yeux une brève description des
deux sites et aurait pu se diriger simplement vers lagence de publicité, même si
elle avait adopté un nom de domaine ne correspondant pas de manière identique à sa
dénomination sociale.
SUR LE PLAN JURIDIQUE
Ainsi, le magistrat se fonde sur larticle 1382 du Code Civil,
sans que lon puisse appliquer de manière satisfaisante une quelconque concurrence
déloyale ou parasitaire. En effet, les deux sociétés exercent des activités
sensiblement différentes, ce qui excluent quelles se situent dans un quelconque
rapport de concurrence. Le tribunal exclue le parasitisme en estimant quil ny
pas eu de volonté manifestement déloyale. Ainsi, il ne peut être reproché à la
première société davoir voulu profiter de manière indue de la réputation de la
société ALICE.
Pour apprécier cette solution, il peut être utile de se reporter aux
conflits qui ont eu lieu en matière de code minitel. Dans une certaine mesure, le
problème est similaire, des raisons techniques empêchant à toutes les sociétés
portant le même nom dobtenir un code minitel identique.
Le contrat Télétel, dans son article 4.2 alinéa 2 , précise que
" le fournisseur de service fait sien tout litige pouvant survenir du fait de
son attribution et de son utilisation, notamment, en raison de la reproduction ou de
limitation dune marque déposée, dun nom patronymique rare ou
célèbre, dun nom commercial ayant un raisonnement national.... ".
Par ailleurs, on peut citer un jugement du TGI de Paris qui, dans une affaire similaire à
la nôtre, a considéré quen labsence de rapport de concurrence, il ne
pouvait y avoir usurpation du nom commercial par lenregistrement en tant que code
minitel, dès lors que ce nom nest connu que dans un milieu très restreint. Dans
cette affaire, une agence de mannequins FAM sopposait à lusage comme code
minitel de la dénomination FAM par une agence de presse. Les juges relèvent quil
ne peut y avoir de concurrence déloyale, en labsence de faute ou de manoeuvre
dolosive et sans quil nexiste de confusion possible entre les deux activités.
Par la suite, le tribunal prent la peine de noter que lagence de mannequins
nest connue que dans un milieu restreint. En effet, on aurait pu estimer quil
y avait parasitisme en essayant de profiter de manière indue de la réputation
dautrui dun nom commercial ayant un certain rayonnement. ( TGI Paris 16 juin
1988 PIBD 88 n° 449 III 87 ).
Une telle limite semble préférable. Ainsi, lexigence dun
rayonnement national devrait suffire à empêcher que des abus apparaissent lors de
lenregistrement de noms de domaine. La négligence de lagence de publicité ne
peut être imputée à la société qui a pris la peine denregistrer sa raison
sociale comme nom de domaine.
CONCLUSION
Nous avons pu voir que la concurrence déloyale ou parasitaire ne
pouvait trouver à sappliquer. Selon le magistrat en charge de laffaire, il
apparaît quil y aurait une atteinte au droit de propriété sur son nom pour la
société la plus ancienne. Cependant, ce droit est limité par lobjet de cette
société, par son activité effective. Quelle solution pourrait-on adopter si une
société encore plus ancienne agissait à lencontre de lagence de publicité
? La règle du premier arrivé premier servi ne va pas à lencontre de la protection
nécessaire des dénominations sociales, mais est imposée par des raisons techniques.