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Rubrique : professionnels / volume 1

Marques

Août 1998


 

Commentaires sur l'affaire Alice

Tribunal de Grande Instance de Paris
Ordonnance de référé du 12 mars 1998
Alice c/ Alice

Yann Dietrich, Juriste spécialisé en propriété industrielle

Texte réédité dans la revue Médias Pouvoirs en octobre 1998

 


Résumé

Ordonnance


Par une Ordonnance de référé du 12 mars 1998, le Tribunal de Grande Instance de Paris a eu à se prononcer sur un type de conflit que l’on risque de voir apparaître de plus en plus fréquemment. Ainsi, une société, constituée en 1996, utilisant comme raison sociale et nom commercial ALICE utilisait sur le réseau le nom de domaine alice.fr. Son objet social est principalement la réalisation et la vente de logiciels.

Une autre société ALICE, une agence de publicité, constituée en 1957, ayant déposé la marque ALICE pour les services de la classe 35 à savoir des activités publicitaires, découvre l’existence de ce site et considère que cela l’empêche de profiter pleinement de ce nouveau média qu’elle découvre tardivement.

Elle agit, donc, en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale à l’encontre de l’autre société.

Après avoir relevé que la logique de la charte de nommage du Nic France ne pouvait s’appliquer, la magistrat a condamné la société défenderesse à faire radier son nom de domaine sur le fondement de l’article 1382 du code civil. En effet, comme certains commentateurs ont pu l’écrire, il ne s’agit pas là d’une question de droit des marques. Le tribunal n’a pas visé le Code de la propriété intellectuelle qui ne pouvait s’appliquer en raison du principe de spécialité. Ainsi, l’usage d’un terme reproduisant une marque pour des logiciels ne peut être considéré comme une contrefaçon d’une marque déposée pour des services de la classe 35.

Le fondement de cette décision se situe bel et bien sur le " véritable droit de propriété " qu’une entreprise a sur sa dénomination sociale. Le juge a estimé que la logique informatique, qui ne permet l’application du principe de spécialité, ne pouvait conduire à empêcher une entreprise plus ancienne de bénéficier du nom de domaine correspondant à sa dénomination, même en l’absence de volonté déloyale de la société qui l’avait fait enregistrer en premier.

Cette solution, cependant, paraît un peu brutale et pouvoir devenir une vraie source d’instabilité juridique sur le réseau.

 

SUR LE PLAN TECHNIQUE

D’un point de vue technique, une telle solution ne s’imposait pas. Comme l’a souligné Valérie SEDAILLAN, lors d’une intervention sur la liste Droit-net, d’autres possibilités s’offraient à cette société pour s’identifier sur le réseau. Tout simplement, elle aurait pu opter pour alice.tm.fr, ou alice.pub.fr. Grâce à ces noms de domaine, elle aurait pu exister sur Internet, sans que naisse de préjudice commercial.

Par ailleurs, il est rare de rechercher une société en essayant de taper directement sa dénomination sociale, mais plutôt par l’utilisation de moteurs de recherche. Ainsi, l’internaute aurait eu sous les yeux une brève description des deux sites et aurait pu se diriger simplement vers l’agence de publicité, même si elle avait adopté un nom de domaine ne correspondant pas de manière identique à sa dénomination sociale.

 

SUR LE PLAN JURIDIQUE

Ainsi, le magistrat se fonde sur l’article 1382 du Code Civil, sans que l’on puisse appliquer de manière satisfaisante une quelconque concurrence déloyale ou parasitaire. En effet, les deux sociétés exercent des activités sensiblement différentes, ce qui excluent qu’elles se situent dans un quelconque rapport de concurrence. Le tribunal exclue le parasitisme en estimant qu’il n’y pas eu de volonté manifestement déloyale. Ainsi, il ne peut être reproché à la première société d’avoir voulu profiter de manière indue de la réputation de la société ALICE.

Pour apprécier cette solution, il peut être utile de se reporter aux conflits qui ont eu lieu en matière de code minitel. Dans une certaine mesure, le problème est similaire, des raisons techniques empêchant à toutes les sociétés portant le même nom d’obtenir un code minitel identique.

Le contrat Télétel, dans son article 4.2 alinéa 2 , précise que " le fournisseur de service fait sien tout litige pouvant survenir du fait de son attribution et de son utilisation, notamment, en raison de la reproduction ou de l’imitation d’une marque déposée, d’un nom patronymique rare ou célèbre, d’un nom commercial ayant un raisonnement national.... ". Par ailleurs, on peut citer un jugement du TGI de Paris qui, dans une affaire similaire à la nôtre, a considéré qu’en l’absence de rapport de concurrence, il ne pouvait y avoir usurpation du nom commercial par l’enregistrement en tant que code minitel, dès lors que ce nom n’est connu que dans un milieu très restreint. Dans cette affaire, une agence de mannequins FAM s’opposait à l’usage comme code minitel de la dénomination FAM par une agence de presse. Les juges relèvent qu’il ne peut y avoir de concurrence déloyale, en l’absence de faute ou de manoeuvre dolosive et sans qu’il n’existe de confusion possible entre les deux activités. Par la suite, le tribunal prent la peine de noter que l’agence de mannequins n’est connue que dans un milieu restreint. En effet, on aurait pu estimer qu’il y avait parasitisme en essayant de profiter de manière indue de la réputation d’autrui d’un nom commercial ayant un certain rayonnement. ( TGI Paris 16 juin 1988 PIBD 88 n° 449 III 87 ).

Une telle limite semble préférable. Ainsi, l’exigence d’un rayonnement national devrait suffire à empêcher que des abus apparaissent lors de l’enregistrement de noms de domaine. La négligence de l’agence de publicité ne peut être imputée à la société qui a pris la peine d’enregistrer sa raison sociale comme nom de domaine.

 

CONCLUSION

Nous avons pu voir que la concurrence déloyale ou parasitaire ne pouvait trouver à s’appliquer. Selon le magistrat en charge de l’affaire, il apparaît qu’il y aurait une atteinte au droit de propriété sur son nom pour la société la plus ancienne. Cependant, ce droit est limité par l’objet de cette société, par son activité effective. Quelle solution pourrait-on adopter si une société encore plus ancienne agissait à l’encontre de l’agence de publicité ? La règle du premier arrivé premier servi ne va pas à l’encontre de la protection nécessaire des dénominations sociales, mais est imposée par des raisons techniques.

Y. D.


A consulter sur Juriscom.net :

- Alice hors de l'évidence
(Espace "Professionnels"), de Yann Dietrich ;
- Dénouement logique pour l'affaire Alice
(Espace "Professionnels"), de Yann Dietrich et Alexandre Menais ;
- L'affaire Alice jugée en appel (appel sur référé du 4 décembre 1998) ;
- L'affaire Alice jugée sur le fond (jugement du 23 mars 1999).

 

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