lors que les problèmes de Cybersquatting tendent à disparaître, apparaissent,
désormais, les véritables limites de lInternet à reproduire des situations
pourtant pacifiques dans le monde dit réel. Laffaire Alice en est une brillante
illustration, comme laffaire Payline
(1) qui a pu mettre à jour les subtilités dapplication du droit
des marques à un média par essence international (2). Elle est
dautant plus intéressante quil sagit dune des premières
décisions de ce genre dans le monde, de sorte quelle franchit allégrement le cadre
national. Après une ordonnance de référé contestable (3), la Cour
dappel de Paris, dans un arrêt du 4
décembre 1998 (4), a admis que cette question délicate devait être
soumise aux juges du fond.
Pour rappeler les faits brièvement, cette affaire oppose deux
sociétés ayant la même dénomination sociale ALICE à propos de lattribution du
nom de domaine leur correspondant dans le sous-registre fr. La plus ancienne, une agence
de publicité constituée en 1957, a assigné une autre société ALICE, éditrice de
logiciels, qui avait enregistré le nom de domaine alice.fr. Par une ordonnance de
référé du 12 mars 1998, le juge ordonnait à la société la plus récente de radier
son enregistrement de nom de domaine, estimant que la règle du premier arrivé, premier
servi ne pouvait priver une société plus ancienne de bénéficier du nom de domaine
correspondant à sa dénomination sociale. La Cour dappel de Paris, dans
larrêt du 4 décembre 1998, infirme cette décision. Elle considère, en effet,
quune telle question ne relève pas de lévidence. Cependant, elle se garde
bien de résoudre ce conflit en se remettant à une décision des juges du fond.
I - Une question hors du champ de lévidence
Larrêt insiste surtout sur labsence dévidence de
latteinte portée aux droits de la société la plus ancienne, que ce soit sur le
fondement de la dénomination sociale ou de larticle 809 du NCPC.
A - Atteinte à la dénomination sociale
Le fondement de lordonnance était le véritable droit de
propriété dont jouit une société sur sa dénomination sociale. Ainsi, pour le juge, il
était inconcevable que la logique informatique conduise à ne pas permettre à une
société plus ancienne de pouvoir utiliser sa dénomination sociale comme nom de domaine.
Par conséquent, le juge ordonnait le retrait de son nom de domaine à la société
récente, même en labsence de toute volonté frauduleuse de sa part.
Larrêt de la Cour dAppel refuse de suivre une telle voie.
En effet, la seule ancienneté de la dénomination sociale de lagence de publicité
ne peut suffir à déduire de manière évidente " une usurpation fautive
de celle-ci par la SA ALICE, alors quil sagit dun prénom commun et
quen raison des activités totalement différentes des deux sociétés, il ne peut y
avoir de confusion dans lesprit du public ". Ce considérant a le
mérite dêtre explicite. Le juge des référés ne peut écarter le principe de
spécialité et la nécessité dun risque de confusion aux seuls motifs que le
réseau ne permet pas leur application. En effet, la jurisprudence exige au moins, pour
quil y ait atteinte, quil existe un risque de confusion. Cependant, la Cour
dAppel reste prudente et refuse de se prononcer sur cette question. Elle ne se borne
quà constater quun tel problème ne peut relever de la sphère de
lévidence.
B - Sur le fondement de larticle 809 du NCPC
De la même façon, la Cour a considéré quil ne pouvait y avoir
de trouble manifestement illicite à respecter la procédure de nommage que la Cour
détaille précisément à légard des droits dune société se situant en
dehors de tout rapport de concurrence et donc, en labsence de fraude. En effet, la
société récente ne peut être condamnée alors quelle a simplement pris la peine
de suivre lévolution technologique. Ne provoquant pas de confusion dans
lesprit du public, elle na donc pas pu agir en fraude des droits de
lagence de publicité.
En réalité, il semble que les vraies raisons de telles actions en
revendication de noms de domaine sont souvent ailleurs. Plus que le désir
dapparaître sur le réseau sous leur dénomination sociale, certaines entreprises
souhaitent simplement pouvoir communiquer autour de leur nom de domaine sur des supports
traditionnels. Dans de tels cas, la logique informatique nempêche pas une société
dexister sur le réseau, mais de pouvoir se faire valoir en sappuyant sur
leffet de mode Internet.
En outre, cet arrêt a le mérite de remettre le juge des référés
dans le cadre strict de sa compétence. En effet, en matière dInternet, de
nombreuses ordonnances de référés tranchent des questions qui sont loin de la simple
évidence. Cette attitude est dautant plus choquante quand il sagit de
trancher des problèmes inhérents aux limites du réseau à reproduire des situations
réelles ou aux nouveaux comportements que génère le réseau.
II - A lavenir
A - solutions techniques
Ladoption dun autre nom de domaine aurait peut-être été
plus judicieuse. En effet, lagence de publicité aurait pu plus simplement
enregistrer un nom de domaine dans le sous-registre .tm.fr ou alors individualiser son
activité par alice.pub.fr, sans parler du registre international .com comme le souligne
Monsieur HIRSCH (5).
Comme latteste le comportement des internautes, la recherche
dun site ne se fait guère en indiquant une adresse hypothétique dans son
navigateur. Lutilisation des moteurs de recherche permet à linternaute de
trouver le site cherché sans même connaître ladresse de celui-ci. Par la suite,
en ladoptant comme favori, il pourra se reconnecter sans jamais sapercevoir de
cette adresse. En outre, les internautes étant familiarisés aux cas de cybersquatting,
ne soffusqueront pas quune société ne soit pas identifiée sur le réseau
par le nom de domaine ne correspondant pas strictement à sa dénomination sociale. Enfin,
il est à noter que le système des noms de domaines a été élaboré pour simplifier la
navigation sur le réseau. A lheure actuelle, apparaissent de nouveaux systèmes et
méthodes de référencement comme REALNAMEÒ . Ils imposent
aux sociétés de justifier de leurs droits de manière plus précise que dans le cadre
des procédures denregistrement de noms de domaine, notamment celle de
lInternic qui gère les registres de premier niveau ( com, net, org ... ).
B - Solutions juridiques
Un parallèle peut être fait avec un jugement du Tribunal de Grande
Instance de Paris du 16 juin 1988 (6). Dans cette affaire à propos de
lattribution dun code MINITEL, sopposaient une agence de mannequin et
une agence de presse. Pour débouter la demanderesse de ses prétentions à revendiquer le
code, les juges ont pris la peine de noter que cette société nest connue que dans
un milieu restreint. Ne bénéficiant pas dune grande renommée voire dune
notoriété, elle ne peut pas prétendre à une protection étendue de sa dénomination
sociale. Par ailleurs, les juges ont mentionné explicitement que la demanderesse
napporte pas la preuve dune confusion susceptible de lui porter atteinte. Une
telle solution peut paraître tout à fait transposable. En effet, la problématique est
la même, le minitel ne permettant pas à deux codes identiques de coexister. En outre, la
concurrence déloyale voire le parasitisme nécessite un risque de confusion pour
sappliquer. Tout au plus, on peut estimer que dans la mesure où le nom ou la
dénomination bénéficie dune certaine renommée, des agissements parasitaires
pourront fonder une éventuelle action. En labsence, la règle du premier arrivé,
premier servi doit sappliquer. Ainsi, dans la mesure où un nom bénéficie
dun certain rayonnement, lhomonyme qui ladopte comme nom de domaine
pourrait être tenté de bénéficier de cette confusion. Il devrait donc individualiser
son nom.
En fait, cette solution revient à nappliquer que les règles de
la concurrence déloyale et du parasitisme. En dehors de sa sphère de protection, la
dénomination sociale ne devrait pas pouvoir bénéficier dune protection accrue sur
le réseau, en raison simplement dimpératifs techniques.