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Rubrique : professionnels / volume 1

An 2000

Décembre 1999


 

Bogue : ce qui était vrai hier ne l’est plus forcément aujourd’hui...

Commentaire du jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 9 décembre 1999 : SA Clinique Monticelli c/ SA Alcatel Business Systems

Alexandre Menais, Juriste spécialisé en droit de l'informatique

 


Texte du jugement sur Legalis.net

Forum de discussion


Les faits

La clinique Monticelli a acquis en 1992 auprès d’Alctatel Business Systems, une solution téléphonique assortie d’un contrat de maintenance renouvelable par tacite reconduction. Le 30 septembre 1999, ce contrat est prorogé pour une année non renouvelable. Interrogé par son client sur la conformité an 2000 de la solution informatique acquise, le fournisseur lui répond que la partie software, plus particulièrement le logiciel de taxation des communications couplé à l’autocom, n’est pas compatible an 2000. Le fournisseur propose alors une mise à niveau de l’installation, moyennant le paiement d’une somme de 56 768 F H.T.

La clinique ne se satisfait pas de cette proposition, considérant que la mise à niveau de la solution téléphonique relève du contrat maintenance et qu'elle ne doit supporter aucun autre frais que la redevance annuelle déjà versée au fournisseur au titre de la maintenance.

La clinique porte l’affaire devant le Tribunal de grande instance de Marseille pour que ce dernier constate que le fournisseur est tenu, au titre du contrat de vente et de maintenance, d’assurer la continuité de fonctionnement de son installation téléphonique et notamment de remédier aux éventuels dysfonctionnements liés à l’an 2000.

Prédominance du contrat

Par une décision du 9 décembre dernier, les juges marseillais ont fait droit à la demande de la société requérante. A nouveau, les faits de l’espèce et particulièrement le contenu du contrat liant les deux parties, s’avèrent déterminants et ce, nonobstant la volonté du fournisseur d’amener les juges à s’inspirer des quelques décisions judiciaires en la matière qui, pour des faits apparemment similaires, ont pu considérer que l’obligation d’adaptation n’était pas à la charge du fournisseur.

En effet, le défendeur a pensé pouvoir s’appuyer sur des arguments juridiques ayant fait leur preuve dans les litiges liés au changement de millénaire dans les systèmes d’information. Or, non seulement les juges n'ont pas repris la totalité des premières solutions dégagées mais, se fondant sur certaines d’entre elles, ont réfuté les prétentions du fournisseur.

Il a été convenu, dans les arguments invoqués contre les fournisseurs informatiques dans le cadre des litiges liés à l’an 2000, de rappeler les obligations qui pèsent sur ces derniers, notamment celles de la délivrance conforme, du devoir d’information, de renseignement et de mise en garde. Dans la présente affaire, le fournisseur s’est donc empressé de préciser au tribunal qu’il n’a en rien manqué aux obligations rappelées ci-dessus, tant au titre du contrat de vente et qu'à celui du contrat de maintenance.

Or, les juges marseillais se sont contentés d’une lecture fidèle du contrat. Ils soulignent le descriptif de l’installation fait référence au logiciel de taxation. De sorte qu’au titre des prestations de maintenance figurent celles afférentes au logiciel incriminé.

A cela s’ajoute l’absence dans les relations entre les deux parties d’un quelconque manquement de la part du client dans le versement des redevances de maintenance. C’est pourquoi, le client " peut légitimement considérer que le fonctionnement de ce logiciel doit être assuré le 29 septembre 2000 " (date d’expiration du contrat de maintenance).

Par conséquent, les juges estiment que le fournisseur ne pouvait exclure de la maintenance un élément qui était couvert par le contrat et se dispenser d’exécuter ses obligations pour manquement de la part de son client, ce dernier n’ayant pas failli.

Le cédant avait également objecté que les prestations de maintenance ne couvraient que des opérations correctives et non pas évolutives et se réfère à des jurisprudences qui pour des faits similaires, ont pu considérer que l’obligation d’adaptation n’était pas à la charge du fournisseur (Cour d'appel de Paris, TGI d'Annecy).

Or, d'une part, le tribunal de Marseille rappelle que le fournisseur ne démontre en rien que la licence était limitée à une utilisation jusqu’au 31 décembre 1999.

D'autre part, le tribunal estime que les jurisprudences invoquées (Cour d’appel de Paris le 1er juillet 1999 et le Tribunal de grande instance d’Annecy le 6 Juillet 1999) ne trouvent pas application aux faits de l’espèce.

Le tribunal souligne en effet que le client n’a pas participé à l’élaboration du logiciel de taxation proposé par le fournisseur et qu’il n’a pas refusé la mise en place d’un contrat de maintenance, à la différence des faits ayant donné lieu à l’arrêt de la CA de Paris et au jugement du TGI de Annecy.

La victime n’étant pas " lors de la commande du système un initié en informatique ", le juge rappelle les droits reconnus au profane face au professionnel, c’est pourquoi il considère que le client " est en droit d’attendre un fonctionnement pérenne de son installation tant que le contrat de maintenance est en vigueur  ".

Enfin, le tribunal de Marseille va considérer que le fournisseur ayant renouvelé le contrat de maintenance le 30 septembre 1999, "… il lui appartient en conséquence de garantir la continuité du fonctionnement du système globalement vendu … et de remédier aux éventuels dysfonctionnements liés au passage à l’an 2000 ".

Le juge précise par conséquent que le fournisseur qui décide de renouveler un contrat de maintenance en assume les conséquences : garantir la continuité du fonctionnement du système globalement vendu. Le cas échéant, le prestataire de maintenance devra remédier à d’éventuels dysfonctionnements liées au passage à l’an 2000. Cette obligation doit s’entendre sans exclusivité et couvrir la solution dans sa globalité.

Notons au passage que le jugement fait référence aux études du Cigref et du Syntec pour déterminer la date à partir de laquelle la modification du logiciel pour assurer le passage à l’an 2000 doit être comprise. Il nous semble que l'impact de cette référence devrait rester limité, le contrat étant l'élément primordial dans la prise de la décision.

La défense du prestataire a cherché à amener les juges sur le terrain d’affaires déjà jugées en espérant que ces dernières constitueraient des sources du droit. S'il est vrai que l’on peut douter parfois de l'aptitude de certains juges à trancher des litiges ayant pour objet les nouvelles technologies, on ne peut reprocher à ces derniers de ne savoir différencier des espèces différentes. La présente affaire en une illustration parfaite.

On ne peut que se féliciter à nouveau de la constance des solutions jurisprudentielles. Les jugements prononcés à ce jour ont pu démontrer la volonté manifeste des juges de préserver les engagements contractuelles des parties.

A. M.


A consulter sur Juriscom.net :

- Réflexions sur les aspects juridiques du passage à l'an 2000,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- Commentaire du jugement du 16 juin 1998 - Tribunal de commerce de Créteil,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- Bug de l'an 2000 : première décision en faveur des utilisateurs - Tendance ou cas d’espèce ?
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- L'audit des contrats informatiques (Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Les assurances face à l'an 2000 (Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais et Yann Dietrich ;
- Affaire Sopra - en terrain connu (Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Que faire à l'aube de l'an 2000 ? (Revue de presse), de Juliette Aquilina.

 

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