A coté du défi technique posé par lan 2000 et
même si à ce jour on constate certaines dissonances entre les différentes prospectives
et surtout lincapacité des acteurs à déterminer les manifestations du changement
de millénaire (1), il nest pas moins vrai que le risque existe et
que, du même coup, se pose la question de sa couverture. A cela, sajoute
lincertitude qui entoure les interrogations des responsabilités pour le passage à
lan 2000 (2). Aussi lun des gardes-fous habituels de
lentreprise, lassurance, devrait être disposé le moment venu à payer tout
ou partie des pertes attribuables au passage informatique à lan 2000.
Le 9 juin dernier, la Cour
d'appel de Paris (3) a ordonné à la Royal & Sun Alliance, une
compagnie dassurances, de continuer à assurer deux de ses clients en
responsabilité civile professionnelle, les sociétés TRESIS et IPIB, deux SSII
spécialisées dans le domaine bancaire, contre les risques liés au passage à l'an 2000,
et ce malgré lexclusion par cet assureur en 1998. Cet arrêt fait suite à une
ordonnance de référé, interjetée par les deux SSII, du Tribunal de commerce de Paris
qui avait dû se prononcer sur la légalité dune proposition de lassureur qui
visait à " inclure dans le contrat à partir de fin 1998 lexclusion
des risques liés au codage de lannée ". Dans son ordonnance rendue
le 31 décembre 1998 (4), le juge des référés considérait que cette
offre intervenue plus de deux mois avant le renouvellement du contrat assurant les risques
professionnels " nétait ni brutale ni irrégulière ".
Le juge estimait que les sociétés avaient suffisamment de temps pour trouver une
nouvelle couverture " si le marché en avait offert ". Les
magistrats vont admettre lévidence que, si près du changement de millénaire, le
marché de lassurance ne propose plus doffre de couverture an 2000 ! Pour
autant, les juges rappellent quil nexiste pas dobligation dassurer
en la matière pour les compagnies dassurances. Dans le même temps, le juge de
lévidence ne fera pas droit à la requête des demanderesses de proroger
provisoirement le contrat au motif quune prorogation doit être " stable
et sûre " et quen lespèce cette prorogation ne créerait
quune situation provisoire.
La Cour dappel va infirmer
la position des magistrats de première instance, et considérer quun assureur ne
peut pas décider de ne plus couvrir le risque lié au passage à l'an 2000 s'il a
contracté initialement en pleine connaissance de l'existence du bogue. En effet, la cour
prend soin de noter que l'assureur, en 1996, a accepté de contracter, en connaissance de
l'activité de leurs clients et des problèmes que pourrait causer le passage à l'an
2000. Ainsi, tout est donc affaire de contrat nonobstant lan 2000. De plus, la cour
caractérise le dommage imminent pour les assurés par la privation de garantie non
prévisible et la perte de clients qui pourrait en découler et ce alors que la compagnie
a respecté les conditions contractuelles de dénonciation.
Les solutions dégagées par cet
arrêt dappel en référé constituent une première dans le contexte du changement
de millénaire pour le domaine de lassurance. Cette décision reprend une position
constante des compagnies dassurances dexclure les garanties liées au passage
à lan 2000. Cependant, si la singularité de lespèce donne une affaire peu
originale sur le plan du droit des contrats, elle a le mérite de poser la question de la
légitimité et de la légalité du recours à lexclusion des polices an 2000 dans
les contrats dassurances.
I. le rappel de la position
des assureurs face à la problématique an 2000 rejeté par lespèce :
singularité ?
Les assureurs se sont retranchés
derrière une position maximaliste quils ont su faire un peu évoluer. Cependant,
dans la présente affaire cette position ne résiste pas au fait de lespèce.
A. De lexclusion de
lan 2000 et de ses tempéraments
Les compagnies dassurances
ont pris conscience très tard quelles pourraient se retrouver dans
lobligation de supporter en dernier recours les conséquences du passage à
lan 2000 et ce, tant sur le plan du dommage que sur le plan de la responsabilité.
Pour la première fois
lévénement couvert, donc le risque, est potentiellement daté. Cette
prévisibilité du risque exclut par conséquent toute idée daléa. Or, le Code
civil dispose dans son article 1964 que " le contrat aléatoire est une
convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour
lune ou plusieurs dentre elles dépendent dun événement
incertain " et classifie le contrat dassurance parmi les contrats dits
aléatoires. Cest pourquoi, tout naturellement, les assureurs ont été tentés
denvisager certains ayant même franchi le pas que lan 2000
nétant pas un aléa, il devenait inassurable. Autrement dit, le changement de
millénaire est un fait générateur qui ne peut être assimilé à aucun dommage
identifié et qui, par ailleurs, ne constitue pas un événement aléatoire.
Pour autant, les assureurs ont pu
considérer que le risque ne reposait pas uniquement sur le changement de date, fait
prévisible et certain, mais aussi sur le succès du projet dadaptation à lan
2000 mis en oeuvre par lassuré. Une distinction existe par conséquent entre
" lécoulement du temps " (le 01 janvier 2000 arrive
inéluctablement) dune part, et la gestion du passage à lan 2000 dautre
part. Un assuré peut être plus ou moins diligent dans sa préparation au passage à
lan 2000. Dés lors, il y a bien un aléa, puisque limplication de
lentreprise face à la problématique an 2000 sera différente selon le niveau de
sensibilisation de lentrepreneur. Ainsi, si les mesures nécessaires ont été
prises pour faciliter la compatibilité an 2000, par exemple du système
dinformation, un aléa résiduel sera couvert. Des compagnies proposent pour
ce faire des polices an 2000 dont lobjet nest pas exclusivement de garantir le
millésime en tant que tel, mais dans le même temps les risques résiduels résultant
des adaptations effectuées. Une restriction perdure néanmoins pour les dommages dit
" immatériels " quils soient oui ou non
" consécutifs " tels que les pertes dexploitation. Par
ailleurs, les dommages matériels restent quant à eux généralement couverts par des
contrats originels (incendies, bris de machine
).
Il va de soi que la garantie sera
accordée si lassuré démontre quil a mis en place les moyens nécessaires
pour adapter et préparer son entreprise à lan 2000. Il devra ainsi démontrer
quelle a mis en oeuvre tous les moyens raisonnables pour prévenir la survenance du
sinistre. Mais si lassureur se réserve cette faculté de couvrir ou de ne pas
couvrir le risque an 2000, il se préserve ainsi de manquer à son devoir général
dinformation et de conseil. Les assureurs pourront-ils alors refuser les
indemnisations des sinistres liés au changement de date sous prétexte que
linaction des assurés serait finalement constitutive dune faute
intentionnelle ? Il ny a quun pas à franchir dautant plus que le
Code des Assurances dispose que lassureur ne répond pas des pertes et dommages
résultant dune faute intentionnelle.
Il est constant que ce sont à la
fois les contrats dassurance dommages qui couvrent les sinistres touchant aux biens
de lentreprise et les contrats de responsabilité civile générale ou
dexploitation et les contrats en responsabilité civile professionnelle, qui seront
affectés par le changement de millénaire. Le risque résiduel résultant des adaptations
effectuées qui pourra être garanti par lassureur concernera essentiellement les
contrats en " RC professionnelle ", notamment comme en lespèce
où ces garanties constituent un accessoire consubstantiel à lexercice de
lactivité des sociétés. En lespèce, il apparaît que la Compagnie Royal
& Sun Alliance na pas choisi de résilier les polices des deux SSII mais, plus
encore, a décidé en 1996 dassurer lesdites sociétés.
B. De lapplication de
ces principes : solution dégagée par la Cour dappel de Paris
La Cour dappel de Paris,
dans son arrêt du 9 juin 1999, nous expose clairement que la privation de garantie des
risques liés au passage à lan 2000, dans certaines conditions, par un assureur,
peut constituer un dommage imminent dans la mesure où elle est susceptible de provoquer
la perte de clients. Cette solution doit être replacée dans son contexte particulier :
le bogue de lan 2000, objet de toutes les craintes et à la fois événement unique
tant par sa nature que par ses implications. Cependant, sans entrer dans des débats de
procédure, à la lecture des principes régissant le droit des contrats, une telle
conclusion savère moins choquante.
En effet, il est constant que les
SSII doivent, dans le cadre de lexécution de leur prestation dingénierie
informatique, souscrire des RC professionnelles. Cette obligation se retrouve notamment
reprise dans les contrats dassistance technique et de facilities management.
Si le contrat dassurance constitue un contrat spécial, cest à dire avec un
régime juridique qui lui est propre, il reste avant tout soumis aux règles générales
de conditions de formation des contrats telles que définies par le Code civil français,
où la phase précontractuelle y tient un rôle de première importance. En effet, cette
dernière sera marquée par un échange entre lassuré et lassureur
déterminant pour la formation, ladaptation et même la validité du contrat
dassurance. Ainsi, cest dune part un devoir dinformation et de
conseil pour lassureur et dautre part une déclaration des circonstances du
risque par lassuré qui devront se rencontrer pour permettre la conclusion du
contrat. Lobligation précontractuelle de déclaration trouve sa justification dans
la nécessité de fournir à lassureur des informations qui constituent le
préalable indispensable pour sa décision daccepter ou non la couverture du risque
proposé déclaration dailleurs non contestée par lassureur en
lespèce. En effet, comme le souligne la cour, " (
) la compagnie
dassurances, lorsquelle a accepté de garantir les deux sociétés, sur des
déclarations dont la sincérité nest pas en cause, connaissait parfaitement la
nature exacte de lactivité développée par ces dernières ". Par
ailleurs, la cour est explicite quant à la connaissance par lassureur de la
problématique de lan 2000. Ainsi, la société dassurances
" nignorait pas, en 1996, comme lensemble des professionnels, les
problèmes techniques que posait ou pourrait poser le passage à lan 2000 pour
lensemble des matériels informatiques et des prestataires de services, en raison du
codage de lannée universellement adopté " est des plus explicite. En
effet, pour les juges cest bien en connaissance de cause que la Royal & Sun
Alliance a décidé de couvrir les deux SSII et ce nonobstant lévénement
prévisible que représentait la problématique du changement de millénaire dans le monde
informatique.
Mais, la cour nen reste pas
là en considérant par ailleurs que la compagnie dassurances " (
)
en a pas moins, à cette époque, alors que le problème était dores et déjà
connu, accepté de garantir lesdites sociétés pour leurs activités, les confortant dans
leur projet dentreprendre dimportants investissements afin de développer
leurs activités et les incitant, manifestement, à ne pas se retourner vers dautres
assureurs concurrents ". Les magistrats relèvent ainsi que dans son
devoir de conseil qui, rappelons-le, comporte un jugement de valeur puisquil
sagit dindiquer au futur assuré les conséquences du contrat envisagé pour
mieux mettre en lumière lopportunité quil y a ou non à passer cette
convention (5), la Royal & Sun Alliance aurait conforté les SSII
dans leurs investissements en décidant dassurer leur activité. La Cour précise
enfin que lassureur aurait tout fait pour manifester sa volonté de conserver ses
clients en incitant ces derniers à ne pas se retourner vers leurs concurrents !
Dès lors, la cour considère que
la privation de garantie était en dehors de toute prévision du contrat pour les
assurés. Certes, la cour ne semble pas avoir tiré toutes les conséquences de
lattitude de la société dassurances. Cependant, il faut noter que le débat
ne se situait pas sur le terrain du trouble manifestement illicite mais sur celui du
dommage imminent qui, comme la cour le souligne, " doit sapprécier en
soi et non au regard dun fait fautif ". La voie du trouble
manifestement illicite, exigeant de caractériser un comportement fautif de
lassureur, aurait été trop périlleuse pour que le juge de lévidence puisse
statuer librement.
Par ailleurs, pour caractériser
ce dommage imminent, la cour prend soin de noter que le fait de procéder à la
dénonciation du contrat de RC professionnelle prive dévidence les deux sociétés
de toute " garantie au titre des dysfonctionnements informatiques résultant
du passage à lan 2000 " alors que cette garantie est
co-substantielle à lexercice de leurs activités. En sachant, qui plus est, que
cette dénonciation provoquée en 1998, " à proximité de la date de
réalisation possible du risque assuré ", intervient dans un contexte où les
assureurs refusent tout nouvel assuré. Par conséquent, il apparaît de manière
évidente que les conséquences dune telle exclusion menacent lactivité en
elle-même alors quelles ne pourraient être que difficilement réparables.
II. Des limites de la position des assureurs
face à la problématique an 2000
La position dexclusion des
assureurs a prêté immédiatement le flanc à la critique. Cependant, les arguments
juridiques avancés nont pas toujours été opportuns. Finalement, le rappel
dune position de la Cour de cassation mais aussi la particularité de
lenvironnement concerné par le risque permettent de poser de véritables
limites à cette exclusion de garantie notamment quant à son opportunité. Plus fortes
encore, les solutions dégagées par larrêt dans un contexte particulier ne
semblent pas avoir pu donner toute leur portée au regard de la légalité de
lexclusion.
A. Opportunité dune telle
solution
Lopportunité des clauses dexclusion
du risque an 2000 sera-t elle mise à mal par le droit positif de la Cour de
cassation ?
En effet, la Cour suprême a
posé le principe que le risque sera pris en compte au moment du fait générateur. Ainsi,
la compagnie qui devra supporter le sinistre sera celle qui couvrait le risque au moment
du fait générateur. Quelle sera alors la portée de ces clauses dexclusion ?
Dautant plus que
lhypothèse aurait pu être double, à savoir retenir la date de la livraison ou la
date de conclusion mais a fortiori pas celle de la réclamation ! A ce jour,
la tendance pousserait le juge à apprécier le risque au moment de la livraison du
produit.
Or, les polices des contrats en
responsabilité civile professionnelle écartent les effets dun dommage lorsque le
défaut est connu au moment de la prestation. L'an 2000 relève pourtant bien du fait
connu. Ainsi, cette position de la Cour de cassation ne va pas sans poser de problèmes
pour les compagnies dassurances. En effet, elle conditionne la légalité des
clauses dexclusion mais, plus encore, oblige lassureur à identifier le fait
générateur, ce qui pousse ce dernier à recourir le cas échéant à des expertises et
donc alourdit considérablement ses charges
Par ailleurs, le niveau
dexposition au risque des assureurs devient peu ou prou difficilement déterminable,
ce qui risquerait, comme certains le craignent, de pousser les assurances françaises à
la faillite.
Rappelons que, exception faite de
certains pays, le " claims made "(6)
fonctionne en droit des assurances dans les pays du monde entier. La position de la Cour
de cassation devient dès lors assez singulière. Cest pourquoi, comme la
communauté de lassurance lenvisage, si la position de la Cour de cassation ne
souffre pas dabsence de fondement juridique, elle nen constitue pas moins une
menace réelle pour le monde des assureurs. Aussi, ces derniers comptent-ils vainement sur
létat des règles de lart de la profession au moment de la survenance du fait
générateur pour déterminer le niveau de responsabilité du fournisseur...
La précarité des motifs
dexclusion des assureurs se manifeste plus encore, selon nous, sur
lenvironnement assurable. En résumé, nous savons quil est acquis que le
droit de lassurance sait supporter le risque informatique sous certaines conditions.
Ce sont des causes matérielles et logiques, des erreurs de conception et de réalisation
du logiciel et enfin des procédures dapplication qui seront susceptibles
dêtre couvertes. En se fondant sur des rapports risques et conséquences quant à
la survenance de ces risques, létendue de la garantie sera déterminée. Si les
assureurs ont pu considérer de manière irrévocable que le 1er janvier 2000
nétait pas aléatoire et que, par conséquent, la possibilité dassurer un
système dinformation face au changement de millésime savérait juridiquement
impossible par absence daléa, ils ont néanmoins sous-estimé les qualités
intrinsèques de linformatique, à savoir son caractère précisément aléatoire.
Nous considérons que si la
prévisibilité de lan 2000 savère exacte, il nen demeure pas moins que
les conséquences dun mauvais chiffrage de la date sur un programme informatique
sont difficilement prévisibles. De fait, lidentification de la cause du risque
deviendrait impossible puisque le système informatique est par nature aléatoire et dès
lors assurable. A titre dexemple, la mise en conformité dun programme en
labsence de ses codes sources et lexploitation dun logiciel spécifique
non conforme avec sa documentation relèvent inévitablement de laléatoire. Enfin,
un programme avec des codes sources connus ayant fait lobjet de test de conformité
an 2000 conserve aussi son aléa et ce, eu égard à lintéropérabilité des
systèmes informatiques. En effet, les interdépendances des systèmes informatiques ne
sont plus à démontrer. Le dommage devient alors imprévisible à cause de la globalité
des interconnexions informatiques. A fortiori, les aptitudes des programmes qui
diffèrent en environnement de production réel relèvent de laléa.
Pour lensemble de cette
question nous nous référons aux écrits du Dr D. Guinier qui considère que les
systèmes dynamiques, malgré des futurs déterminés, restent " imprédictibles "
et ce lorsque " leur comportement échappe à toute prédiction "
(7).
Laffirmation de ces
évidences nest pas sans conséquences et constitue bien une donnée objective qui
laisse la place à linterprétation quant au recours aux exclusions des compagnies
dassurances. De plus, elle pose le problème lors de la survenance du dommage et
plus précisément la détermination du fait dommageable : an 2000 ou composant
informatique ?
B. Légalité dune telle exclusion
Comme nous lavons vu
précédemment, la cour, tenue par des impératifs de procédure, na peut-être pas
pu tirer toutes les conséquences de lattitude de lassureur. Cependant, dans
le cadre dune action au fond, une telle exclusion nous semble pouvoir être
combattue notamment sur le terrain de labus de droit.
Ainsi, pour citer Maître Azéma,
le droit de résilier nest pas absolu et un fournisseur engage sa responsabilité en
abusant de son droit de ne pas renouveler un contrat " non seulement lorsque la
rupture était motivée par lintention de nuire, mais encore lorsquelle
interviendrait avec une légèreté blâmable "(8). Par
exemple, en matière de contrat de distribution, la rupture est abusive principalement en
raison de son caractère brutal. En prenant en compte létat de dépendance
économique, les juges ont pu considérer que le préavis ne saurait être inférieur au
temps nécessaire à la reconversion du distributeur (9). En
lespèce, la résiliation partielle du contrat est intervenue un an avant la
réalisation du risque ne permettant pas ainsi à lassuré de pouvoir trouver une
nouvelle couverture pour ce risque. Dans une autre espèce, la Chambre commerciale de la
Cour de cassation a jugé que le fournisseur commet une faute en ne laissant pas au
distributeur le temps nécessaire à la reconversion de son entreprise, alors quil
avait exposé des frais considérables en contrepartie dune promesse de négocier en
vue dintégrer lentreprise du concessionnaire (10). Comme le
distributeur, lassuré se trouve dans limpossibilité dexercer son
activité, ni même davoir le temps de changer de fournisseur ou dassureur,
sans mettre en danger son entreprise et alors même que rien ne rendait prévisible ou
normal une telle résiliation. Une telle voie pourrait être envisagée pour les SSII,
dans la même situation que les sociétés appellantes, et nayant pas agi à bref
délai, pour obtenir réparation de leur préjudice.
De la même manière,
lentreprise se retrouve dans limpossibilité de continuer normalement son
activité. La garantie RC de la SSII est une condition essentielle dans la négociation de
tels contrats. Dès lors, comme le note la Cour, lassureur, en connaissance du
risque, a " accepté de garantir lesdites sociétés pour leurs activités,
les confortant dans leur projet dentreprendre dimportants investissements
(
) et les incitant manifestement, à ne pas se retourner vers dautres
assureurs concurrents ". Par son attitude, lassureur a véritablement
mis en péril lactivité de son client, alors que rien ne permettait à
lassuré denvisager une telle exclusion du risque. Il paraît peu concevable
de ne pas y voir au moins une légèreté blâmable.
Enfin, larticle L. 113-4 du
Code des assurances, dans son alinéa 3, dispose que lassureur ne peut plus se
prévaloir de laggravation des risques pour dénoncer le contrat, quand, après en
avoir été informé de quelque manière que ce soit il a manifesté son consentement au
maintien de lassurance, spécialement en continuant à recevoir les primes ou en
payant après un sinistre une indemnité. Par conséquent, lexclusion du risque an
2000 pourrait être éventuellement considérée comme opérant en fraude de cette
disposition. Certes, il ny a pas eu à proprement parler aggravation du risque mais
amélioration de linformation quant à son ampleur. Il est clair cependant
quen 1996 et en 1997, lassureur avait une pleine connaissance du risque. De
plus, la résiliation est bel et bien intervenue car lassureur avait conscience que
le risque saggravait. Il ne pouvait donc plus dénoncer le contrat au titre de cette
disposition, ayant accepté, sans état dâme, le paiement des primes pour les
années antérieures. Certes, lintérêt de lassureur nétait pas de
dénoncer le contrat dans sa totalité, mais simplement dexclure la garantie des
risques liés au passage à lan 2000. Mais cette exclusion nous semble pouvoir
heurter cette disposition du Code des assurances et révéler une attitude quelque peu
indélicate de lassureur.
Le fournisseur commet également
une faute en ne laissant pas au distributeur le temps nécessaire à la reconversion de
son entreprise, alors quun plan de collaboration avait été conclu entre eux pour
une longue durée (11). En lespèce, le concessionnaire avait fait
exposer, par le distributeur, des frais considérables en contrepartie dune promesse
de mener à terme des négociations en vue dintégrer lentreprise du
concessionnaire.
Conclusion
Beaucoup de commentaires, non
officiels pour la plupart, ont critiqué cette arrêt, à la fois tant du coté des
assureurs que de celui des professionnels du droit (12). Mais, ce que
nous appelons la singularité française ne nous semble pas un obstacle et serait une
solution finalement assez progressiste (13). En effet, la prévention
des dérives paraît être inévitable. Les Etats Unis, qui sont sur le point
dadopter un texte encadrant les recours en justice liés au bogue et les dommages et
intérêts susceptibles dêtre exigés par les P.M.E (14), ont
été les premiers à se pencher sur la régulation des responsabilités. Les commissions
créées par le Comité national an 2000 français sinscrivent dans cette logique (15).
Les raisons qui pourraient
expliquer ces revirements sont peut-être nombreuses. Pour notre part nous retiendrons
deux réalités objectives. Dune part, au problème de limputation du passage
à lan 2000 est en train de se substituer celui de la charge du dommage du
changement de millénaire. Et, dautre part, il est évident que les pluralités de
responsabilités seront réelles (sinistre systémique).
Autrement dit, que
constate-t-on ? Tout simplement linstauration dune véritable
socialisation des risques.
Y.D. et A.M.
Notes
(1) Olivier ITEANU, Revue de Droit de
lInformatique & des Télécoms, 1998/4, p. 89.
(2) Voir nos différents article sur le sujet rubrique an 2000 sur Juriscom.net :
http://www.juriscom.net/pro/1/index.htm#bug.
(3) Voir l'arrêt sur le site : http://www.legalis.net.
(4) Jean-François FORGERON, " le bogue de lan
2000 : un premier bilan judiciaire ", O1 Informatique, avril 1999.
(5) Boris STARCK, Henri ROLAND et Laurent BOYER,
" Obligations 2. Contrats ", 4ème édition, Litec, 1993.
(6) " Claims made " où
lassureur qui couvrira le sinistre sera celui qui assure au moment où la plainte
est déposée.
(7) Daniel GUINIER , " Passage à lan
2000, le chaos rend la perspective imprévisible dans un contexte systémique ",
Expertise, n°228, 1999, p.228 et s. ; mais aussi Daniel GUINIER, Catastrophe
et management Plan durgence et continuité des systèmes dinformation,
Edition Masson-Dunod, p.1-323.
(8) Droit français de la Concurrence, PUF.
(9) CA Versailles, 30 mai 1994, Rev. Jur. Ile de France, 1995, n° 36,
p. 145, note Parléani. G.
(10) Cass. Com., 8 janvier 1968, D. 68, p. 495.
(11) précité note 10.
(12) A titre dexemple le Professeur Caron, " (
) les
Juges ont été extrêmement audacieux pour admettre une prorogation du contrat qui
équivaut à un forçage du consentement ", Expertises, n°
229, p.251.
(13) même si nous avions pu expliquer que nous y voyons - un
arroseur arrosé Le Monde Intercatif , 07 juillet 1999.
(14) " les Etats Unis cadrent juridiquement le bogue de
lan 2000 " , La Tribune, 5 juillet 1999.
(15)" Entretien avec Hubert BITAN ", Le
Bogue légal, n°5, p. 7.
Pour en savoir plus sur les risques, lassurance et lan 2000,
voir le site de Emmanuel CREVENNA : Auditeurs Européens Indépendants : http://perso.club-internet.fr/anneverc.
Voir également sur Juriscom.net :
- Réflexions sur les aspects juridiques du
passage à l'an 2000
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Commentaire du jugement du 16 juin
1998 - Tribunal de commerce de Créteil
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Bug de l'an 2000 : première
décision en faveur des utilisateurs - Tendance ou cas despèce ?
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- L'audit des contrats informatiques
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Que faire à l'aube de l'an
2000 ? (Revue de presse), de Juliette Aquilina ;
- Texte du jugement du
Tribunal de commerce de Créteil du 16 juin 1998 (affaire Novatel) ;
- Texte de l'arrêt de la
Cour d'appel de Dijon du 4 février 1999 (affaire Bel Air Informatique). |