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Rubrique : professionnels / volume 1

Commerce électronique

Avril 1999


 


Yann Dietrich,
Juriste en propriété industrielle, cabinet Gefib

Un aperçu de la proposition de Directive 98-586 relative à certains aspects juridiques du commerce électronique

Par Yann Dietrich et Alexandre Menais,
collaborateurs pour Juriscom.net


Alexandre Menais,
Juriste d’entreprise spécialisé en droit de l’informatique

Paru dans les cahiers Lamy droit de l’informatique et des réseaux - avril 1999
Article édité sur Juriscom.net avec l’aimable autorisation des éditions Lamy


Introduction

L’Union européenne porte depuis longtemps une attention particulière aux autoroutes de l’information. Cet intérêt s’est développé avec la forte croissance que connaît le commerce électronique. Le commissaire européen Mario Monti, chargé du marché unique, l’a clairement rappelé " Notre objectif est de faire en sorte que l’Union soit en mesure d’exploiter tous les avantages de ce commerce, dont provient le quart des nouveaux emplois créés " (1).

Pour autant, les institutions communautaires sont conscientes que, pour tirer profit de " l’e-commerce ", il convient de sécuriser cet espace en le dotant d’un cadre juridique européen, afin de renforcer la confiance mutuelle des consommateurs et des opérateurs (2).

La présente Directive vise à lever les différents obstacles. Elle développe et complète plusieurs autres initiatives (3) fixées par le plan d’action en faveur du marché unique destiné à " relever le défi de l’innovation et des nouvelles technologies " (4) et atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs. Enfin, la régulation et l’harmonisation recherchées par la Commission permettront de renforcer la position de l’Union dans les négociations internationales (OMC, OMPI…) et de permettre ainsi l’élaboration d’une politique mondiale dans le domaine du commerce électronique (5).

Le projet de Directive prévoit une approche simple et souple qui prend en compte la nature spécifique d’Internet et le rôle des parties et de l’autoréglementation. Ainsi, la présente proposition n’ambitionne d’apporter que des solutions concrètes aux problèmes juridiques les plus évidents qui entravent le développement du commerce électronique. Certes, elle n’aborde pas certains points comme la question de la loi applicable à l’égard des consommateurs qui, rappelons-le, a déjà été traité par la Directive 97/7 portant sur les contrats de vente à distance, et qui propose une protection uniforme des consommateurs au moins dans le cadre de la Communauté. Qui plus est, d’autres préoccupations liées au commerce électronique sont en cours de discussion au sein d’organisations internationales. Ces dernières réclamant des solutions mondiales, la Commission a pris le soin de ne pas se prononcer pour le moment.

Fort de ces objectifs la Commission a retenu cinq préoccupations qui forment un ensemble cohérent en vue de permettre la libre circulation des services en ligne : le lieu d’établissement des prestataires de services de la société de l’information, les communications commerciales, la conclusion des contrats en ligne, la responsabilité des intermédiaires et enfin la mise en œuvre des réglementations.

Nous exclurons de la présente étude la question de la responsabilité des intermédiaires, qui pourtant rebondit avec l’affaire Valentin Lacambre (6), mais surtout ce point a déjà fait l’objet d’une étude complète (7) de Maître Valérie Sédallian.

Aussi, nous retiendrons dans les propositions du projet de Directive communautaire les questions relatives à l’identification des acteurs et des communications du réseau avant de nous attarder sur les solutions proposées à quelques aspects juridiques liés à la spécificité du réseau.

 

I. Identification des acteurs et des communications sur le réseau

A. Identification des acteurs

Parmi les obstacles aux services de commerce électronique, la Commission retient plus particulièrement la détermination du lieu d’établissement des prestataires. La proposition envisage d’éliminer l’insécurité juridique qui existe en la matière, en donnant une définition du lieu d’établissement par référence aux principes énoncés dans le traité et par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes. Au regard des principes de liberté d’établissement (article 52 du traité) et de libre prestation (article 70 du traité), principes fondamentaux du marché intérieur (article 100A), il ne semble pas surprenant que la proposition de Directive considère la notion d’établissement comme un aspect du cadre juridique actuel devant être clarifié. A cela, s’ajoute la nécessité de lever les interdictions de régimes d’autorisation spécifique pour les services de la société de l’information, tout en garantissant un minimum de transparence sur les prestations.

La détermination du lieu d’établissement 

Déterminer dans quel Etat membre le prestataire de service est établi, afin de connaître le régime qui lui est applicable, soulève de multiples interrogations auxquelles très peu de réponses sont apportées. Doit-on prendre en considération le serveur qui héberge un site ou bien la possibilité de pouvoir accéder à un site dans un Etat membre ou encore, peut-on se fonder sur une simple boîte aux lettres ?

Avant la proposition de Directive, la situation dans les Etats membres n’échappait pas à cette problématique, de sorte que ni les autorités nationales ni le consommateur pas plus que l’opérateur ne savaient clairement à quoi s’en tenir. C’est l’article II paragraphe c de la proposition qui définit la notion de prestataire établi et permet ainsi de déterminer l’Etat membre sous la compétence duquel se trouve un prestataire de la société de l’information. Pour aborder cette définition, la proposition de Directive (première partie paragraphe c ) reprend in extenso une définition apportée par la CJCE au terme de laquelle : " la notion d’établissement au sens des articles 52 et suivants du traité comporte l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable dans un autre Etat membre pour une durée indéterminée " (8). La notion de prestataire établi repose sur des critères qualitatifs de l’effectivité et de la stabilité de l’activité économique. En d’autres termes la notion d’établissement telle que retenue exclut tous critères formels, tenant à la nature de l’entité considérée. Le projet de Directive ne se contente pas de rappeler l’état du droit positif sur la notion d’établissement mais s’attache, au second alinéa du paragraphe c précité, aux caractéristiques des sociétés de l’information c’est-à-dire " la présence et l’utilisation des moyens techniques et des technologies utilisées pour fournir le service ne constituent pas un établissement du prestataire ", en rejetant tout critère technologique.

La notion de " prestataire établi " suscite quelques interrogations. En effet, le droit communautaire distingue traditionnellement la prestation de l’établissement. Dès lors, à quoi peut correspondre un " prestataire établi " ?

Sauf erreur, ce terme n’avait pas été utilisé auparavant par les institutions communautaires. La question que nous sommes en droit de nous poser est de savoir si le projet de Directive n’est pas en train de créer une " entre-deux voies ", c’est à dire une notion comprise entre l’établissement et la prestation de service ?

Pour essayer de comprendre ce qui a pu animer les rédacteurs de ce projet, on peut penser qu’en se concentrant sur la réalité de l’activité, la définition retenue donne aux Etats membres une importante marge de manœuvre. 

Par conséquent, cela leur donne toute latitude d’agir au cas par cas. En outre, cette définition laisse aux Etats membres, le cas échéant, la possibilité de prendre des mesures ou des sanctions qui auront des effets réels.

Une autre interrogation, liée à la notion de " prestataire établi ", est celle des conséquences d’une jurisprudence de la CJCE dans un autre domaine de la communication audiovisuelle, à savoir la télévision, où la cour avait considéré qu’un même opérateur pouvait être établi dans plusieurs Etats membres ! (9) Certes, la Cour avait alors estimé qu’en présence de plusieurs établissements d’un même organisme de radiodiffusion, l’Etat membre compétent était celui dans lequel cet organisme a " le centre de ses activités ". Quelle portée attribuer en l’espèce à cette jurisprudence dans le nouveau contexte de la notion de " prestataire établi " ?

Régime d’établissement et d’information

Autre confusion manifeste et engendrant une insécurité juridique certaine, celle qui porte sur les régimes d’autorisation.

L'objectif poursuivi par les institutions communautaires est de mettre en œuvre le principe de la liberté d'établissement en facilitant l'accès aux activités de prestation de services sur Internet. La proposition de Directive souhaite établir une sorte de " droit au site " dont pourrait se prévaloir tout opérateur, société ou travailleur indépendant, qui décide d'utiliser Internet pour réaliser une prestation de services. C’est l’article 4 du chapitre II de la proposition de Directive qui esquisse une solution. Cette dernière tente de clarifier la situation actuelle en demandant aux Etats membres de ne mettre en place aucun régime d'autorisation a priori, sous réserve des dispositions figurant au paragraphe 2 du même article (à titre d’illustration la France a opté pour un régime de déclarations conjointes au Procureur de la République et au CSA à la différence du Danemark qui n’a mis en place aucun régime de déclaration). Il s'agit en vérité d'une obligation qualitative qui vise non seulement les régimes d'autorisation formelle, mais également toute autre procédure qui pourrait avoir le même effet, comme par exemple la nécessité d'attendre ou de recevoir un accusé de réception suite à une déclaration.

Le paragraphe 2 de l’article 4 apporte donc une réserve dans la mesure où les exigences relatives à l'accès aux activités qui ne sont pas spécifiques aux services de la société de l'information devront continuer à s'appliquer. De sorte que, si une législation prévoit des exigences de qualification professionnelle ou d'autorisation par un ordre professionnel (les avocats par exemple), ou encore d'autorisation par une autorité publique (en droit français un agrément préfectoral pour une activité de tourisme), ces dernières continueront à s'appliquer pleinement à un opérateur qui souhaitera exercer ses activités sur Internet.

Information générale à fournir

L’article 5 de la proposition de Directive vise essentiellement les informations relatives au prestataire (nom, adresse où le prestataire est établi…). L'obligation d'information imposée par les institutions communautaires s'ajouterait ainsi à celles existant dans certaines législations nationales et dans la Directive 97/7/CE relative à la protection des consommateurs en matière de vente à distance qui ne concerne que les relations contractuelles. Par conséquent, il apparaît que, quelle que soit la nature du lien juridique, le prestataire devra rendre accessible les informations visées dans ce paragraphe. De plus, ces informations doivent " être facilement accessibles " au cours de la fourniture du service (une icône ou un logo ayant un lien hypertexte vers une page contenant ces informations et visible sur l'ensemble des pages du site devrait permettre de satisfaire cette condition).

L’article 5 paragraphe 2 dispose quant à lui que les indications portant sur le prix des services de la société de l’information doivent être faîtes de manière précise et non équivoque. Ces mesures sont indispensables pour la protection du consommateur et des autres destinataires du service et pour la loyauté des transactions. A titre d’exemple on peut penser qu’un prix indiqué en Euro remplira cette condition. 

B. Identification des communications

Le projet de Directive définit de manière large la notion de communication commerciale. Selon l’article 2 - e, il s’agit de toutes formes de communications destinées à promouvoir directement ou indirectement tous produits ou services ou l’image d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Cependant, la Commission prend soin d’exclure une série de comportements. Le seul fait de détenir un site pour y faire figurer des informations non promotionnelles ne serait pas considéré comme de la communication commerciale. De même, les liens hypertextes sans contrepartie, au même titre que la mention d’un nom de domaine, d’un logo et/ou d’une marque d’une entreprise échapperaient aux obligations liées à ce type de communication. L’objectif de la Commission est clair. Il s’agit simplement de définir de la manière la plus large ces communications afin d’y appliquer deux principes : celui de l’identification claire de ces communications et des obligations de transparence et de loyauté. La Commission adopte, cependant, une position pragmatique en veillant à ce que ces nouvelles obligations ne constituent pas un frein et une charge trop importante pour les prestataires de services.

Principe de l’identification claire de la communication commerciale

Au travers de l’article 6 alinéa a et b, la Commission pose le principe de l’identification claire de la communication commerciale. En effet, dans un certain nombre de pays, de telles obligations, notamment en matière de parrainage ou de publi-information, n’existent pas. L’objectif recherché est de permettre à l’internaute de déterminer s’il s’agit d’information ou de publicité. Par conséquent, tout site ou page Web faisant une quelconque promotion ou relevant de quelques intérêts privés que ce soit, devra préciser ces mentions. Par ailleurs, le projet pose le principe de l’identification pour le compte de qui cette communication est faite. La Commission, dans son commentaire, adopte un grand pragmatisme. Un lien hypertexte vers une page contenant ces informations pourra suffire à remplir cette obligation. De même, les bannières publicitaires devront permettre une telle information, sans pour autant les faire apparaître. Un régime identique sera applicable aux offres et jeux promotionnels.

Principe de loyauté et de transparence

En instituant un principe de loyauté et de transparence, la Commission aborde deux problèmes encore un peu confidentiels d’Internet : le spamming et les professions réglementées.

Dans son article 7, la Directive prévoit que les communications commerciales non sollicitées par courrier électronique (Spam en anglais ou Polluriel au Québec) devront être clairement identifiées. Elle adopte, ainsi, la solution minimale sans trancher les autres problèmes liés à ces pratiques. En effet, le spam provoque un engorgement du réseau et oblige l’internaute à supporter les frais de telles communications. Ainsi, outre le temps perdu pour accéder à un site, il doit, de plus, être connecté plus longtemps pour consulter sa messagerie. Aux Etats Unis, deux écoles ont pu se détacher à propos de ces pratiques (10). Les fournisseurs d’accès et les usagers sont favorables au principe du opt-in, l’envoi de tels messages serait interdit à moins que l’internaute l’ait autorisé préalablement. Au contraire, certains souhaitent que ces communications soient permises, sauf volonté manifeste contraire de l’usager (principe du opt-out). Les législations des différents Etats américains oscillent entre plusieurs voies, sans que l’administration fédérale n’ait pu, pour l’instant, trouver un texte satisfaisant. Le risque de la proposition communautaire est de légitimer ces pratiques. Pour l’instant, elle se limite à quelques petites entreprises. Mais une telle position pourrait amener un développement du spamming et augmenter ainsi le coût pour l’usager. Même si le message laisse apparaître immédiatement sa nature, il aura transité par le réseau et aura dû être transmis à l’usager (11).

Par ailleurs, la Commission ouvre le débat à propos de l’utilisation d’Internet par les professions réglementées. S’agissant particulièrement des médecins et des avocats, la légalité de se présenter pour offrir leurs services sur le réseau se pose de manière récurrente. La Commission se contente de reconnaître simplement le principe de la licéité de leurs prestations de services sur le réseau dans la limite des règles professionnelles. Quant au contenu proprement dit, elle engage simplement les organisations professionnelles à élaborer des codes de conduite au niveau communautaire.

 

II. Quelques aspects juridiques liés aux spécificités du réseau

A. Le contrat électronique

Principe de validité du contrat électronique

L’un des principes fondamentaux posés dans ce projet est la validité du contrat électronique. La Commission précise qu’il s’agit d’une obligation de résultat pour les Etats membres d’analyser leurs législations afin de faire disparaître tous les freins à une conclusion de contrat en ligne. L’article 9 dispose que les Etats devront veiller à ne pas " empêcher une utilisation effective des contrats par voie électronique ni ne conduise à les priver d’effet et de validité juridique ". Il ne doit pas s’agir d’une simple adaptation des législations nationales afin d’admettre leur validité mais il faut qu’ils puissent être utilisés en pratique dans des conditions identiques à des contrats sur support papier. La Commission précise d’ailleurs que ne correspondraient pas aux objectifs de la Directive des législations donnant un effet juridiquement faible aux contrats électroniques par rapport aux autres contrats. Toutefois, la Commission prend soin d’écarter une série de contrats, dans le paragraphe 2, du champ d’application de cette disposition.  Ainsi, les contrats relevant du droit de la famille et des successions, ainsi que ceux nécessitant l’intervention d’un notaire ou d’une autorité publique pourront ne pas rentrer dans le champ de l’article 9, paragraphe premier.

Joint à son corollaire, la proposition de Directive 98-297 du 13 mai 1998 sur un cadre commun pour les signatures électroniques, ce principe doit aboutir à donner une véritable valeur juridique au contrat électronique. En France, l’avant-projet de loi relatif à l’adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies du 29 octobre 1998 ne va pas aussi loin. Certes, l’article 1316 paragraphe 2 de l’avant-projet précise que la nature d’un écrit ne dépend ni de son support physique, ni des modalités de transfert en cas de communication à distance. Mais l’article 1316-1 traitant spécifiquement de l’écrit électronique pose différentes limites. Ainsi, il faut qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir la fiabilité. Cette seule disposition peut suffire à admettre que l’e-mail ne remplit pas ces conditions. Par ailleurs, il ne pourra être prouvé par un écrit électronique contre un écrit sur un support papier signé par les parties. Ne pourrait-on pas déduire de cet alinéa que la preuve électronique reste une preuve imparfaite, en tout cas moins sûre que le papier ? Il est fort probable que de telles dispositions ne pourront satisfaire aux objectifs de la présente proposition de Directive. L’écrit électronique, même s’il est reconnu, reste juridiquement faible. En définitive, il reste un mode de preuve imparfait par rapport à la preuve papier, sans que le texte ne permette de plus une lecture simple et non sujette à interprétation.

Dans son commentaire, la Commission souligne que l’utilisation de systèmes électroniques, tels que des agents électroniques intelligents, ne doit pas empêcher la conclusion de tels contrats. En effet, de nombreux ordinateurs, notamment dans les milieux boursiers, sont programmés pour procéder à des opérations dès lors que certaines conditions sont réunies. La question de la validité d’un tel consentement et donc d’un tel contrat est plus qu’incertaine.   S’agit-il d’une présomption de consentement ? Doit-on considérer que la machine est le mandataire de son utilisateur ? (12) Selon les souhaits de la Commission, il serait donc possible d’admettre l’expression d’un consentement ou d’une simple présomption de consentement de la part d’un ordinateur programmé à émettre une réponse prédéterminée à une requête présentant certaines conditions.

Contrat électronique et consommateur

Dans un premier temps, dans les articles 10 et 11 de la présente proposition, la Commission pose un certain nombre de principes concernant la conclusion de contrats en ligne relevant du droit de la consommation et en l’absence de convention de preuve entre les parties. En complément de la Directive 97/7 sur les contrats de vente de distance, l’article 10 ajoute un certain nombre d’obligations en matière de ventes en ligne. En premier lieu, le processus de conclusion d’un contrat en ligne devra être pleinement et préalablement expliqué aux consommateurs. Il faudra indiquer les différentes étapes à suivre, l’archivage ou non du contrat, ainsi que les modalités de correction du contrat. Il est à noter qu’au titre de l’article 10 alinéa 2, ces différentes étapes lors de la conclusion d’un contrat devront permettre l’expression d’un consentement libre et éclairé, sans qu’il ne soit institué de véritables lignes directrices en la matière.

Dans un second temps, la Commission aborde une hypothèse particulière, représentant pourtant la majorité des transactions commerciales par Internet des consommateurs. Il s’agit du cas où une offre concrète est faite par un prestataire et où le consommateur n’a le choix que d’accepter ou de refuser l’offre émise en manifestant sa volonté par un simple clic (clic-deal). Par contre, si, comme le souligne Eric BARBRY, rien n’empêche de considérer cette pratique comme une acceptation expresse (13), la Commission y ajoute tout de même deux étapes supplémentaires pour confirmer la formation et la conclusion du contrat.

Ainsi, le contrat sera conclu lorsque le consommateur aura reçu la confirmation de son acceptation et qu’il en aura accusé réception. Ce dernier sera présumé reçu lorsque les parties pourront y avoir accès. Enfin, la Commission prend soin de noter que l’accusé de réception de l’acceptation ainsi que la confirmation par le consommateur devront être envoyés dans les meilleurs délais. Cependant, il est tout de même permis de s’interroger a contrario sur la valeur du clic-deal. Ainsi le seul fait d’accepter par un clic ne pourrait pas suffire à matérialiser un consentement libre et éclairé. La Commission évoque d’ailleurs l’accusé de réception de l’acceptation. Par conséquent, l’offre et l’acceptation s’étant rencontrées, le contrat devrait être formé valablement. Cependant, il ne fait aucun doute que la Commission n’a certainement pas voulu entrer dans de telles considérations juridiques. Elle souhaite simplement donner une valeur juridique certaine à une pratique courante sur le réseau et ainsi permettre le développement de ces transactions. Ainsi, ce mécanisme courant de confirmation pourra permettre la conclusion d’un contrat valable.

Enfin, la proposition de Directive impose aux prestataires de mettre en place une information complète du consommateur sur l’offre qu’il entend accepter et notamment lui permettant de corriger ses erreurs de manipulation. En fait, la Commission envisage simplement les fenêtres de confirmation récapitulant une commande en ligne et permettant à l’internaute de procéder aux dernières modifications de sa commande. Il ne s’agit que de lui fournir une offre précise et complète. Là encore, la Commission se contente de prendre note d’une pratique courante de certains prestataires et de la rendre obligatoire à tous.

B. Le règlement des conflits liés au commerce électronique

Cet aspect constitue un des éléments déterminants du cadre juridique du cybercommerce proposé par la Commission européenne. La problématique pourrait se réduire finalement à l’acceptation ou au refus par les Etats membres d’abandonner une partie de leur souveraineté pour permettre une coopération juridictionnelle importante et effective.

Premier constat avant tout développement, le projet de Directive n’envisage pas la création d’un organe spécifique chargé de réguler les activités de la société de l’information. De plus, comme il a pu être précisé auparavant, la Commission n’a pas cherché à élaborer des règles nouvelles mais plutôt à rendre effectif l’existant normatif communautaire ainsi que les différentes législations des Etats membres (14). La consolidation des mécanismes nécessaires à cette fin doit favoriser la mise en place d’un marché intérieur fondé sur la confiance réciproque entre les Etats membres.

L’article 14 paragraphe 1 nous semble être une bonne illustration des intentions communautaires. Le régime de responsabilité du prestataire d’hébergement (15) prévoit pour les différentes parties intéressées la mise en place de procédures (notification, retrait et interdiction) envers le prestataire auteur d’un acte illicite, appelées " notice and take down procédure ". Même si ces moyens offerts ne se substituent pas aux voies de recours juridictionnelles, ils démontrent la volonté manifeste des institutions communautaires de promouvoir les systèmes d’auto-réglementation. Stimuler la coopération administrative entre Etats membres (en raison de l’absence et de la non transparence de certaines d’entre elles), faciliter les règlements des litiges transfrontaliers par des mécanismes répondant aux exigences des transactions en ligne (16), à savoir la rapidité et l’efficacité, sont fortement encouragés par la Commission.

La proposition de Directive envisage aussi l’élaboration de " codes de conduite " à l’échelle communautaire. On se sait si on peut pousser la comparaison jusqu’à y voir une future autorégulation via des tiers à l’image du Better Business Bureau aux Etats Unis. Pour la Directive du 20/05/1997 relative à la protection des consommateurs en matière de contrats à distance, les recours nationaux des associations de consommateurs n’apparaissent que comme une faculté laissée au libre arbitre des Etats membres.

Si la proposition de Directive communautaire s’intéresse aux règlements judiciaires et extra-judiciaires des conflits sur Internet, la CJCE avait pu bien avant prendre une position claire en la matière en considérant que l’accès à la justice constitue le corollaire des libertés de l’espace sans frontières intérieures. Dans le même sens, le Parlement européen avait pu insister par une résolution (17) sur la nécessité de recourir aux règles d’arbitrage.

La Directive, outre les ambitions reprises ci-dessus, semble vouloir améliorer l’efficacité des procédures d’urgence, seul moyen approprié de réponse à la rapidité des dommages sur le réseau des réseaux. De même, elle souhaite par les mécanismes extra-judiciaires des conflits, stopper l’impunité de la petite délinquance liée à Internet. Pour autant, ces mécanismes demeurent pour la plupart inadaptés.

Codes de conduite

Le paragraphe 3 de l’article 10 de la proposition de Directive dans le cadre de l’obligation de transparence sur les modalités du processus contractuel auxquelles le prestataire est soumis, donne la possibilité au destinataire de service d’accéder aux codes de conduite. Ces codes de conduite (article 16 du projet de Directive) constituent un instrument favorable pour déterminer des règles déontologiques applicables à la communication commerciale. Malheureusement, on constate que la proposition de Directive reste circonspecte quant aux moyens permettant leur développement et leur élaboration. Il est vrai que ce choix de promouvoir des codes de conduite s'inscrit dans la politique adoptée par les autorités communautaires aussi bien dans la recommandation 98/560 du Conseil du 24 septembre 1998 (18), que dans la décision du Conseil adoptant un plan d'action communautaire pluriannuel visant à promouvoir une utilisation sûre d’Internet. Pour s'assurer de la compatibilité des codes de conduite avec le droit communautaire, le paragraphe b invite les parties intéressées à communiquer à la Commission les projets de codes. En revanche, en vertu de la Directive 98/34/CE (19) les accords volontaires auxquels l'autorité publique est partie contractante devront obligatoirement être notifiés dans les conditions prévues par cette Directive. Manifestement, cet article permettra la mise en œuvre des stipulations de l'article 8 de la proposition de Directive qui pose le principe général de l’autorisation de la communication commerciale pour les professions dites réglementées.

Règlement extrajudiciaire des différends

Prévue par l’article 17 paragraphe 1, la proposition Directive invite les Etats membres à recourir de manière effective, en particulier par voie électronique, aux mécanismes de règlement extrajudiciaire. Ainsi, il est prévu en cas de désaccord entre un prestataire et un destinataire d’un service de la société de l’information de favoriser le règlement extrajudiciaire des litiges. Ce type de mécanisme apparaît particulièrement utile pour certains litiges sur Internet compte tenu des faibles montants des transactions et de la qualité des parties (particuliers et pas systématiquement multinationales) qui peuvent être dissuadées d'utiliser les procédures judiciaires en raison de leurs coûts.

Mais surtout, la voie  pré-contentieuse doit pouvoir pallier les carences du système juridictionnel de règlements des litiges s’agissant notamment des délais de jugements. La proposition de Directive ne répertorie pas les modalités de règlement extrajudiciaire, par conséquent l’arbitrage (pratique courante en droit du commerce international), la médiation et la conciliation ou encore les conventions d’EDI sont donc envisageables sans exclusion. Par contre, il reste à voir si un encadrement juridique par les Etats membres de ces mécanismes de règlement des différends n’aura pas pour effet de limiter leur utilisation. En effet, on peut raisonnablement penser que la régulation étatique rendra complexe la mise en place des voies extrajudiciaires, qui plus est par voie électronique ! La proposition de Directive se garde bien d’opposer réglementation étatique et autorégulation par les acteurs d’Internet. Il semble qu’elle souhaite retenir une combinaison des deux approches apparemment indissociables.

Pour résumer, l’autorégulation doit passer aussi par la sanction et a fortiori par la réglementation qui ne peut être exhaustive. D’où il nous semble que la promotion des codes de conduite serait à même de responsabiliser les acteurs d’Internet.

Les principes invoqués au paragraphe 2 concernent uniquement les organes de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. La proposition de Directive se contente de reprendre les règles déjà énoncées dans la recommandation 98/257/CE de la Commission, adoptée le 30 mars 1998, concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommations et expliqués dans la communication de la Commission du 30 mars 1998 sur "la résolution extrajudiciaire des conflits de consommation".

Recours juridictionnels

L’article 18 présente le volet juridictionnel de la Directive permettant d’en garantir les prescriptions.

En vertu du principe d’autonomie procédurale, le projet de Directive laisse les Etats membres libres d’organiser des recours juridictionnels efficaces destinés à garantir la légalité des activités de services de la société de l’Information. Mais l’autonomie ainsi reconnue aux Etats est encadrée par le projet de Directive, qui précise en premier lieu que si les Etats membres sont libres d’organiser les recours, c’est à la condition qu’ils soient efficaces. Cette efficacité est strictement définie puisqu’est seul jugé efficace le recours juridictionnel sur lequel il est statué dans les plus brefs délais et en la forme des référés. Ce choix procédural s’imposait dans la mesure où il s’agissait d’adapter la procédure à la fugacité des réseaux. Le projet de Directive crée une véritable obligation de résultat qui pèsera sur les Etats membres qui devront examiner ainsi dans quelle mesure leurs procédures sont adaptées pour faire face à des comportements illicites ou des litiges sur Internet. Cette affirmation de principe ne manquera pas d'alimenter la polémique à propos de la compétence du juge des référés dans certaines affaires liées à Internet où elle dépasse, pour certains, le strict cadre de l'évidence. Est-ce à dire que les règles de procédure devraient être adaptées à cette nouvelle exigence (20) ? Par ailleurs, les juridictions saisies des violations des dispositions de la Directive devront pouvoir prendre toutes mesures destinées à réparer la violation et à empêcher la survenue d’autres préjudices, sur le modèle du référé conservatoire.

Parallèlement à ce volet " protection d’urgence ", le projet prévoit, s’agissant spécifiquement des articles 5 à 15, que les actes contraires aux dispositions de transpositions de ces articles, s’ils portent atteinte aux intérêts des consommateurs, constituent des infractions telles qu’elles sont définies à l’article 1er paragraphe 2 de la Directive 98/27/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs.

 

Conclusion

Internet se développe dans un environnement mondial. Dès lors, les solutions retenues par la Commission et à plus long terme par les Etats se doivent d’intégrer les options développées au niveau international et ceci afin de créer une certaine cohérence rendue indispensable par la mondialisation. Certes, il est illusoire de penser que les Etats ne pourront avoir aucune autorité sur le réseau mondial. Tant que les acteurs auront un lien les rattachant à un Etat, ce dernier pourra par divers moyens exercer un pouvoir de contrôle et de sanction à l’égard des différents acteurs et activités sur Internet.

Illustration des velléités des Etats, les dispositions de l’article 22 du projet de Directive semblent répondre à ces préoccupations. Cet article porte sur les mesures que peuvent prendre les Etats membres afin de restreindre la libre circulation d’un service de la société de l’information. Conformément aux principes de l’article 56 du traité CE, l’article 22 énonce que les restrictions ne peuvent être prises que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique. Cependant, la jurisprudence relative à l’article 56 alinéa 2 assortit cette exception d’une réserve fondamentale qui vise à prévenir toute dérive d’un Etat membre qui consisterait à utiliser ces dérogations pour des exigences impératives, mais qui servirait en réalité à pratiquer une discrimination arbitraire. Les restrictions sont non seulement limitées par leur objet : protéger l’ordre, la sécurité ou la santé publique, mais sont aussi tenues de respecter les principes généraux du droit ainsi que les principes fondamentaux (21). Le droit communautaire admet que soient apportées des restrictions aux principes qu’il consacre, mais ces dernières sont conçues de manière stricte, dans la mesure où il exige en fait que ces restrictions soient de véritables exceptions (22). Or, cette précision fondamentale n’apparaît pas dans la rédaction de l’article 22 de la proposition de Directive. Autrement dit, faut-il considérer que les mesures de l’article 22 intègrent implicitement les règles du droit commun rappelées ci-dessus, ou alors que la proposition de Directive a volontairement créé un moyen pour les Etats de déroger aux règles de la concurrence ? Dès lors, l’ambition de la Commission d’harmoniser les législations des Etats membres relatives notamment à la sécurisation des échanges sur Internet, afin d’éliminer les interdictions ou les restrictions à l’utilisation de moyens électroniques, se verrait profondément remise en cause.

Y. D. et A. M.


Notes

 

1. Information Micro & Réseau 30.11.1998, n° 362

2. La communication de la Commission " Une initiative européenne dans le domaine du commerce électronique ", du 16.4.1997 fixait déjà un objectif clair, à savoir la création, d’ici l’an 2000, d’un cadre juridique cohérent à l’échelon européen.

3. En ce sens les Directives relatives à la protection des données à caractère personnel et à la protection des consommateurs en matière de contrats négociés à distance, ainsi que les propositions de Directive relatives aux signatures électroniques, au droits d’auteurs et à la monnaie électronique.

4. Communication de la Commission au Conseil européen en date du 4.6.1997 : 4ème action du 3ème objectif stratégique ( Supprimer les obstacles à l’intégration des marchés).

5. Et ceci malgré les accusation des Etats Unis et notamment celles de Ira Magaziner, conseillère de Bill Clinton pour Internet, qui considère que la Commission freine par cette proposition le commerce électronique et la menace de mesures de rétorsion !

6. Cour d'appel de Paris 10 février 1999, Estelle Hallyday c/ Valentin Lacambre, commentaire de Lionel Thoumyre et Thibault Verbiest, " Le mannequin et l’hébergeur ", Juriscom.net, mars 1999, http://www.juriscom.net/espace2/resp2.htm.

7. Voir obs de Valérie Sédaillan, La responsabilité des prestataires techniques sur Internet dans le Digital Copyright Act américain et le projet de Directive européen, Cahier Lamy, janvier 1999, n°110, p. 1 et s.

8. CJCE 25-7-1991, Factortame pt.20, Affaire C-221/89, Rec .1991 page I-3905.

9. CJCE 25-7-1991, Stichting Collective Antenne-Voor Ziening Gouda, Rec I page 4007.

10. Eric Labbé, " Spamming et législation américaine : vers un projet fédéral décisif  ", Juriscom.net, mars 1999, http://www.juriscom.net/espace2/spam1.htm.

11. Lionel Thoumyre, " Email publicitaires : tarir à la source ", Netsurf, n°32, novembre 1998, p.16, disponible aussi sur Juriscom.net : http://www.juriscom.net/espace1/chrojur4.htm. Voir notamment les critiques d’Eric Labbé un projet américain similaire.

12. Charles Gagnon, " L’Echange de consentement et le commerce électronique ", serveur de l’Université de Montréal, http://www.droit.umontreal.ca/~gagnonc/travaux/consentement.html.

13. Eric Barbry, " Le droit du commerce électronique - De la protection à la confiance ", Cyberlex, http://www.grolier.fr/cyberlexnet.

14. Voir la transposition de l’idée de soft law développée par M. Vivant  Internet et modes de régulation, rapport au colloque de Namur, " Internet face au droit ", Nov 1996, Cah. du CRID 1997, n°12. p. 215.

15. Voir les observation de V. Sédaillan, Cahiers Lamy, Janvier 1999, n°110,  p. et s.

16. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions concernant le plan d’actions visant à promouvoir une utilisation sûre d’Internet. Adoptée par la Commission le 12.11.1997 (COM(97)582). Recommandation 98/560 du Conseil du 24-9-1998 concernant le développement de la compétitivité de l’industrie européenne des services audiovisuelles et d’information par la promotion de cadres nationaux visant à assurer un niveau comparable et efficace de protection des mineurs et de la dignité humaine. JO L 270 du 7.10.1998, p. 48.

17. Résolution du Parlement du 14.5.1998, point 32

18. Concernant le développement de la compétitivité de l'industrie européenne des services audiovisuels et d'information par la promotion de cadres nationaux visant à assurer un niveau comparable et efficace de la protection des mineurs et de la dignité humaine JO L 270 du 7.10.1998, p. 48.

19. JO L 204 du 21.7.1198, p. 37, telle que modifiée par la Directive 98148./CE, JO L 217 du 5.8.1998, p. 18.

20. voir les réflexions du président Gomez sur la création d'un référé de fond sur Internet, Expertises, Nov 98, n° 220, p.335 et s.

21. CJCE 18-6-1991 aff. C-260/80, Elliniki Radiophonis Théorassi AE/Dimotiki Etaria Pliroforissis, Rec 1991-I, p. 2925. En l’occurrence il s’agissait d’apprécier la réglementation litigieuse au regard de la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la CEDH.

22. G. Lyon-Caen, " La réserve d’ordre public en matière d’établissement et de libre circulation ", RTD eur., 1966, p.693.


Voir également sur Juriscom.net :

- Preuve et formalisme des contrats électroniques : l’exemple québécois
(Travaux Universitaires - Doctrine), de Vincent Gautrais ;
- L'échange des consentements dans le commerce électronique
(Travaux Universitaires - Doctrine), de Lionel Thoumyre ;
- La reconnaissance juridique de la signature électronique
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Commerce électronique : les réformes européennes
(Espace "Professionnels"), de Maître Valérie Sédallian ;
- Protection du cyberconsommateur
(Espace "Internautes"), de Lionel Thoumyre ;
- Aspects juridiques de l'ouverture d'un site commercial sur Internet
(Chroniques juridiques), de Gérard Haas.

 

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