Introduction LUnion européenne porte depuis longtemps une attention
particulière aux autoroutes de linformation. Cet intérêt sest développé
avec la forte croissance que connaît le commerce électronique. Le commissaire européen
Mario Monti, chargé du marché unique, la clairement rappelé " Notre
objectif est de faire en sorte que lUnion soit en mesure dexploiter tous les
avantages de ce commerce, dont provient le quart des nouveaux emplois créés "
(1).
Pour autant, les institutions communautaires sont conscientes que, pour
tirer profit de " le-commerce ", il convient de sécuriser cet
espace en le dotant dun cadre juridique européen, afin de renforcer la confiance
mutuelle des consommateurs et des opérateurs ( 2).
La présente Directive vise à lever les différents obstacles. Elle
développe et complète plusieurs autres initiatives (3) fixées par le
plan daction en faveur du marché unique destiné à " relever le défi de
linnovation et des nouvelles technologies " (4) et
atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs. Enfin, la régulation et
lharmonisation recherchées par la Commission permettront de renforcer la position
de lUnion dans les négociations internationales (OMC, OMPI
) et de permettre
ainsi lélaboration dune politique mondiale dans le domaine du commerce
électronique (5).
Le projet de Directive prévoit une approche simple et souple qui prend
en compte la nature spécifique dInternet et le rôle des parties et de
lautoréglementation. Ainsi, la présente proposition nambitionne
dapporter que des solutions concrètes aux problèmes juridiques les plus évidents
qui entravent le développement du commerce électronique. Certes, elle naborde pas
certains points comme la question de la loi applicable à légard des consommateurs
qui, rappelons-le, a déjà été traité par la Directive 97/7 portant sur les contrats
de vente à distance, et qui propose une protection uniforme des consommateurs au moins
dans le cadre de la Communauté. Qui plus est, dautres préoccupations liées au
commerce électronique sont en cours de discussion au sein dorganisations
internationales. Ces dernières réclamant des solutions mondiales, la Commission a pris
le soin de ne pas se prononcer pour le moment.
Fort de ces objectifs la Commission a retenu cinq préoccupations qui
forment un ensemble cohérent en vue de permettre la libre circulation des services en
ligne : le lieu détablissement des prestataires de services de la société de
linformation, les communications commerciales, la conclusion des contrats en ligne,
la responsabilité des intermédiaires et enfin la mise en uvre des
réglementations.
Nous exclurons de la présente étude la question de la responsabilité
des intermédiaires, qui pourtant rebondit avec laffaire Valentin Lacambre (6), mais surtout ce point a déjà fait lobjet dune étude
complète (7) de Maître Valérie Sédallian.
Aussi, nous retiendrons dans les propositions du projet de Directive
communautaire les questions relatives à lidentification des acteurs et des
communications du réseau avant de nous attarder sur les solutions proposées à quelques
aspects juridiques liés à la spécificité du réseau.
I. Identification des acteurs et des communications sur le réseau
A. Identification des acteurs
Parmi les obstacles aux services de commerce électronique, la
Commission retient plus particulièrement la détermination du lieu détablissement
des prestataires. La proposition envisage déliminer linsécurité juridique
qui existe en la matière, en donnant une définition du lieu détablissement par
référence aux principes énoncés dans le traité et par la jurisprudence de la Cour de
Justice des Communautés Européennes. Au regard des principes de liberté
détablissement (article 52 du traité) et de libre prestation (article 70 du
traité), principes fondamentaux du marché intérieur (article 100A), il ne semble pas
surprenant que la proposition de Directive considère la notion détablissement
comme un aspect du cadre juridique actuel devant être clarifié. A cela, sajoute la
nécessité de lever les interdictions de régimes dautorisation spécifique pour
les services de la société de linformation, tout en garantissant un minimum de
transparence sur les prestations.
La détermination du lieu détablissement
Déterminer dans quel Etat membre le prestataire de service est
établi, afin de connaître le régime qui lui est applicable, soulève de multiples
interrogations auxquelles très peu de réponses sont apportées. Doit-on prendre en
considération le serveur qui héberge un site ou bien la possibilité de pouvoir accéder
à un site dans un Etat membre ou encore, peut-on se fonder sur une simple boîte aux
lettres ?
Avant la proposition de Directive, la situation dans les Etats membres
néchappait pas à cette problématique, de sorte que ni les autorités nationales
ni le consommateur pas plus que lopérateur ne savaient clairement à quoi sen
tenir. Cest larticle II paragraphe c de la proposition qui définit la notion
de prestataire établi et permet ainsi de déterminer lEtat membre sous la
compétence duquel se trouve un prestataire de la société de linformation. Pour
aborder cette définition, la proposition de Directive (première partie paragraphe c )
reprend in extenso une définition apportée par la CJCE au terme de
laquelle : " la notion détablissement au sens des articles 52 et
suivants du traité comporte lexercice effectif dune activité économique au
moyen dune installation stable dans un autre Etat membre pour une durée
indéterminée " ( 8). La notion de prestataire
établi repose sur des critères qualitatifs de leffectivité et de la
stabilité de lactivité économique. En dautres termes la notion
détablissement telle que retenue exclut tous critères formels, tenant à la nature
de lentité considérée. Le projet de Directive ne se contente pas de rappeler
létat du droit positif sur la notion détablissement mais sattache, au
second alinéa du paragraphe c précité, aux caractéristiques des sociétés de
linformation cest-à-dire " la présence et lutilisation
des moyens techniques et des technologies utilisées pour fournir le service ne
constituent pas un établissement du prestataire ", en rejetant tout
critère technologique.
La notion de " prestataire établi " suscite
quelques interrogations. En effet, le droit communautaire distingue traditionnellement la
prestation de létablissement. Dès lors, à quoi peut correspondre un " prestataire
établi " ?
Sauf erreur, ce terme navait pas été utilisé auparavant par
les institutions communautaires. La question que nous sommes en droit de nous poser est de
savoir si le projet de Directive nest pas en train de créer une
" entre-deux voies ", cest à dire une notion comprise entre
létablissement et la prestation de service ?
Pour essayer de comprendre ce qui a pu animer les rédacteurs de ce
projet, on peut penser quen se concentrant sur la réalité de lactivité, la
définition retenue donne aux Etats membres une importante marge de manuvre.
Par conséquent, cela leur donne toute latitude dagir au cas par
cas. En outre, cette définition laisse aux Etats membres, le cas échéant, la
possibilité de prendre des mesures ou des sanctions qui auront des effets réels.
Une autre interrogation, liée à la notion de " prestataire
établi ", est celle des conséquences dune jurisprudence de la CJCE dans
un autre domaine de la communication audiovisuelle, à savoir la télévision, où la cour
avait considéré quun même opérateur pouvait être établi dans plusieurs Etats
membres ! (9) Certes, la Cour avait alors estimé quen
présence de plusieurs établissements dun même organisme de radiodiffusion,
lEtat membre compétent était celui dans lequel cet organisme a " le
centre de ses activités ". Quelle portée attribuer en lespèce à cette
jurisprudence dans le nouveau contexte de la notion de " prestataire
établi " ?
Régime détablissement et dinformation
Autre confusion manifeste et engendrant une insécurité juridique
certaine, celle qui porte sur les régimes dautorisation.
L'objectif poursuivi par les institutions communautaires est de mettre
en uvre le principe de la liberté d'établissement en facilitant l'accès aux
activités de prestation de services sur Internet. La proposition de Directive souhaite
établir une sorte de " droit au site " dont pourrait se prévaloir tout
opérateur, société ou travailleur indépendant, qui décide d'utiliser Internet pour
réaliser une prestation de services. Cest larticle 4 du chapitre II de la
proposition de Directive qui esquisse une solution. Cette dernière tente de clarifier la
situation actuelle en demandant aux Etats membres de ne mettre en place aucun régime
d'autorisation a priori, sous réserve des dispositions figurant au paragraphe
2 du même article (à titre dillustration la France a opté pour un régime de
déclarations conjointes au Procureur de la République et au CSA à la différence du
Danemark qui na mis en place aucun régime de déclaration). Il s'agit en vérité
d'une obligation qualitative qui vise non seulement les régimes d'autorisation formelle,
mais également toute autre procédure qui pourrait avoir le même effet, comme par
exemple la nécessité d'attendre ou de recevoir un accusé de réception suite à une
déclaration.
Le paragraphe 2 de larticle 4 apporte donc une réserve dans la
mesure où les exigences relatives à l'accès aux activités qui ne sont pas spécifiques
aux services de la société de l'information devront continuer à s'appliquer. De sorte
que, si une législation prévoit des exigences de qualification professionnelle ou
d'autorisation par un ordre professionnel (les avocats par exemple), ou encore
d'autorisation par une autorité publique (en droit français un agrément préfectoral
pour une activité de tourisme), ces dernières continueront à s'appliquer pleinement à
un opérateur qui souhaitera exercer ses activités sur Internet.
Information générale à fournir
Larticle 5 de la proposition de Directive vise essentiellement
les informations relatives au prestataire (nom, adresse où le prestataire est
établi
). L'obligation d'information imposée par les institutions communautaires
s'ajouterait ainsi à celles existant dans certaines législations nationales et dans la
Directive 97/7/CE relative à la protection des consommateurs en matière de vente à
distance qui ne concerne que les relations contractuelles. Par conséquent, il
apparaît que, quelle que soit la nature du lien juridique, le prestataire devra rendre
accessible les informations visées dans ce paragraphe. De plus, ces informations doivent
" être facilement accessibles " au cours de la fourniture du
service (une icône ou un logo ayant un lien hypertexte vers une page contenant ces
informations et visible sur l'ensemble des pages du site devrait permettre de satisfaire
cette condition).
Larticle 5 paragraphe 2 dispose quant à lui que les indications
portant sur le prix des services de la société de linformation doivent être
faîtes de manière précise et non équivoque. Ces mesures sont indispensables pour la
protection du consommateur et des autres destinataires du service et pour la loyauté des
transactions. A titre dexemple on peut penser quun prix indiqué en Euro
remplira cette condition.
B. Identification des communications
Le projet de Directive définit de manière large la notion de
communication commerciale. Selon larticle 2 - e, il sagit de toutes formes de
communications destinées à promouvoir directement ou indirectement tous produits ou
services ou limage dune personne ayant une activité commerciale,
industrielle, artisanale ou libérale. Cependant, la Commission prend soin dexclure
une série de comportements. Le seul fait de détenir un site pour y faire figurer des
informations non promotionnelles ne serait pas considéré comme de la communication
commerciale. De même, les liens hypertextes sans contrepartie, au même titre que la
mention dun nom de domaine, dun logo et/ou dune marque dune
entreprise échapperaient aux obligations liées à ce type de communication.
Lobjectif de la Commission est clair. Il sagit simplement de définir de la
manière la plus large ces communications afin dy appliquer deux principes :
celui de lidentification claire de ces communications et des obligations de
transparence et de loyauté. La Commission adopte, cependant, une position pragmatique en
veillant à ce que ces nouvelles obligations ne constituent pas un frein et une charge
trop importante pour les prestataires de services.
Principe de lidentification claire de la communication
commerciale
Au travers de larticle 6 alinéa a et b, la Commission pose le
principe de lidentification claire de la communication commerciale. En effet, dans
un certain nombre de pays, de telles obligations, notamment en matière de parrainage ou
de publi-information, nexistent pas. Lobjectif recherché est de permettre à
linternaute de déterminer sil sagit dinformation ou de
publicité. Par conséquent, tout site ou page Web faisant une quelconque promotion ou
relevant de quelques intérêts privés que ce soit, devra préciser ces mentions. Par
ailleurs, le projet pose le principe de lidentification pour le compte de qui cette
communication est faite. La Commission, dans son commentaire, adopte un grand pragmatisme.
Un lien hypertexte vers une page contenant ces informations pourra suffire à remplir
cette obligation. De même, les bannières publicitaires devront permettre une telle
information, sans pour autant les faire apparaître. Un régime identique sera applicable
aux offres et jeux promotionnels.
Principe de loyauté et de transparence
En instituant un principe de loyauté et de transparence, la Commission
aborde deux problèmes encore un peu confidentiels dInternet : le spamming et
les professions réglementées.
Dans son article 7, la Directive prévoit que les communications
commerciales non sollicitées par courrier électronique (Spam en anglais ou
Polluriel au Québec) devront être clairement identifiées. Elle adopte, ainsi, la
solution minimale sans trancher les autres problèmes liés à ces pratiques. En effet, le
spam provoque un engorgement du réseau et oblige linternaute à supporter
les frais de telles communications. Ainsi, outre le temps perdu pour accéder à un site,
il doit, de plus, être connecté plus longtemps pour consulter sa messagerie. Aux Etats
Unis, deux écoles ont pu se détacher à propos de ces pratiques (10).
Les fournisseurs daccès et les usagers sont favorables au principe du opt-in, lenvoi
de tels messages serait interdit à moins que linternaute lait autorisé
préalablement. Au contraire, certains souhaitent que ces communications soient permises,
sauf volonté manifeste contraire de lusager (principe du opt-out). Les
législations des différents Etats américains oscillent entre plusieurs voies, sans que
ladministration fédérale nait pu, pour linstant, trouver un texte
satisfaisant. Le risque de la proposition communautaire est de légitimer ces pratiques.
Pour linstant, elle se limite à quelques petites entreprises. Mais une telle
position pourrait amener un développement du spamming et augmenter ainsi le coût
pour lusager. Même si le message laisse apparaître immédiatement sa nature, il
aura transité par le réseau et aura dû être transmis à lusager (11).
Par ailleurs, la Commission ouvre le débat à propos de
lutilisation dInternet par les professions réglementées. Sagissant
particulièrement des médecins et des avocats, la légalité de se présenter pour offrir
leurs services sur le réseau se pose de manière récurrente. La Commission se contente
de reconnaître simplement le principe de la licéité de leurs prestations de services
sur le réseau dans la limite des règles professionnelles. Quant au contenu proprement
dit, elle engage simplement les organisations professionnelles à élaborer des codes de
conduite au niveau communautaire.
II. Quelques aspects juridiques liés aux spécificités du réseau
A. Le contrat électronique
Principe de validité du contrat électronique
Lun des principes fondamentaux posés dans ce projet est la
validité du contrat électronique. La Commission précise quil sagit
dune obligation de résultat pour les Etats membres danalyser leurs
législations afin de faire disparaître tous les freins à une conclusion de contrat en
ligne. Larticle 9 dispose que les Etats devront veiller à ne pas " empêcher
une utilisation effective des contrats par voie électronique ni ne conduise à les priver
deffet et de validité juridique ". Il ne doit pas sagir
dune simple adaptation des législations nationales afin dadmettre leur
validité mais il faut quils puissent être utilisés en pratique dans des
conditions identiques à des contrats sur support papier. La Commission précise
dailleurs que ne correspondraient pas aux objectifs de la Directive des
législations donnant un effet juridiquement faible aux contrats électroniques par
rapport aux autres contrats. Toutefois, la Commission prend soin décarter une
série de contrats, dans le paragraphe 2, du champ dapplication de cette
disposition. Ainsi, les contrats relevant du droit de la famille et des successions,
ainsi que ceux nécessitant lintervention dun notaire ou dune autorité
publique pourront ne pas rentrer dans le champ de larticle 9, paragraphe premier.
Joint à son corollaire, la proposition de Directive 98-297 du 13 mai
1998 sur un cadre commun pour les signatures électroniques, ce principe doit aboutir à
donner une véritable valeur juridique au contrat électronique. En France,
lavant-projet de loi relatif à ladaptation du droit de la preuve aux
nouvelles technologies du 29 octobre 1998 ne va pas aussi loin. Certes, larticle
1316 paragraphe 2 de lavant-projet précise que la nature dun écrit ne
dépend ni de son support physique, ni des modalités de transfert en cas de communication
à distance. Mais larticle 1316-1 traitant spécifiquement de lécrit
électronique pose différentes limites. Ainsi, il faut quil soit établi et
conservé dans des conditions de nature à en garantir la fiabilité. Cette seule
disposition peut suffire à admettre que le-mail ne remplit pas ces
conditions. Par ailleurs, il ne pourra être prouvé par un écrit électronique contre un
écrit sur un support papier signé par les parties. Ne pourrait-on pas déduire de cet
alinéa que la preuve électronique reste une preuve imparfaite, en tout cas moins sûre
que le papier ? Il est fort probable que de telles dispositions ne pourront
satisfaire aux objectifs de la présente proposition de Directive. Lécrit
électronique, même sil est reconnu, reste juridiquement faible. En définitive, il
reste un mode de preuve imparfait par rapport à la preuve papier, sans que le texte ne
permette de plus une lecture simple et non sujette à interprétation.
Dans son commentaire, la Commission souligne que lutilisation de
systèmes électroniques, tels que des agents électroniques intelligents, ne doit pas
empêcher la conclusion de tels contrats. En effet, de nombreux ordinateurs, notamment
dans les milieux boursiers, sont programmés pour procéder à des opérations dès lors
que certaines conditions sont réunies. La question de la validité dun tel
consentement et donc dun tel contrat est plus quincertaine.
Sagit-il dune présomption de consentement ? Doit-on considérer que la
machine est le mandataire de son utilisateur ? (12) Selon les
souhaits de la Commission, il serait donc possible dadmettre lexpression
dun consentement ou dune simple présomption de consentement de la part
dun ordinateur programmé à émettre une réponse prédéterminée à une requête
présentant certaines conditions.
Contrat électronique et consommateur
Dans un premier temps, dans les articles 10 et 11 de la présente
proposition, la Commission pose un certain nombre de principes concernant la conclusion de
contrats en ligne relevant du droit de la consommation et en labsence de convention
de preuve entre les parties. En complément de la Directive 97/7 sur les contrats de vente
de distance, larticle 10 ajoute un certain nombre dobligations en matière de
ventes en ligne. En premier lieu, le processus de conclusion dun contrat en ligne
devra être pleinement et préalablement expliqué aux consommateurs. Il faudra indiquer
les différentes étapes à suivre, larchivage ou non du contrat, ainsi que les
modalités de correction du contrat. Il est à noter quau titre de larticle 10
alinéa 2, ces différentes étapes lors de la conclusion dun contrat devront
permettre lexpression dun consentement libre et éclairé, sans quil ne
soit institué de véritables lignes directrices en la matière.
Dans un second temps, la Commission aborde une hypothèse
particulière, représentant pourtant la majorité des transactions commerciales par
Internet des consommateurs. Il sagit du cas où une offre concrète est faite par un
prestataire et où le consommateur na le choix que daccepter ou de refuser
loffre émise en manifestant sa volonté par un simple clic (clic-deal). Par contre,
si, comme le souligne Eric BARBRY, rien nempêche de considérer cette pratique
comme une acceptation expresse (13), la Commission y ajoute tout de
même deux étapes supplémentaires pour confirmer la formation et la conclusion du
contrat.
Ainsi, le contrat sera conclu lorsque le consommateur aura reçu la
confirmation de son acceptation et quil en aura accusé réception. Ce dernier
sera présumé reçu lorsque les parties pourront y avoir accès. Enfin, la Commission
prend soin de noter que laccusé de réception de lacceptation ainsi que la
confirmation par le consommateur devront être envoyés dans les meilleurs délais.
Cependant, il est tout de même permis de sinterroger a contrario sur la
valeur du clic-deal. Ainsi le seul fait daccepter par un clic ne pourrait pas
suffire à matérialiser un consentement libre et éclairé. La Commission évoque
dailleurs laccusé de réception de lacceptation. Par conséquent,
loffre et lacceptation sétant rencontrées, le contrat devrait être
formé valablement. Cependant, il ne fait aucun doute que la Commission na
certainement pas voulu entrer dans de telles considérations juridiques. Elle souhaite
simplement donner une valeur juridique certaine à une pratique courante sur le réseau et
ainsi permettre le développement de ces transactions. Ainsi, ce mécanisme courant de
confirmation pourra permettre la conclusion dun contrat valable.
Enfin, la proposition de Directive impose aux prestataires de mettre en
place une information complète du consommateur sur loffre quil entend
accepter et notamment lui permettant de corriger ses erreurs de manipulation. En
fait, la Commission envisage simplement les fenêtres de confirmation récapitulant une
commande en ligne et permettant à linternaute de procéder aux dernières
modifications de sa commande. Il ne sagit que de lui fournir une offre précise et
complète. Là encore, la Commission se contente de prendre note dune pratique
courante de certains prestataires et de la rendre obligatoire à tous.
B. Le règlement des conflits liés au commerce électronique
Cet aspect constitue un des éléments déterminants du cadre juridique
du cybercommerce proposé par la Commission européenne. La problématique pourrait se
réduire finalement à lacceptation ou au refus par les Etats membres
dabandonner une partie de leur souveraineté pour permettre une coopération
juridictionnelle importante et effective.
Premier constat avant tout développement, le projet de Directive
nenvisage pas la création dun organe spécifique chargé de réguler les
activités de la société de linformation. De plus, comme il a pu être
précisé auparavant, la Commission na pas cherché à élaborer des règles
nouvelles mais plutôt à rendre effectif lexistant normatif communautaire ainsi que
les différentes législations des Etats membres (14). La consolidation
des mécanismes nécessaires à cette fin doit favoriser la mise en place dun
marché intérieur fondé sur la confiance réciproque entre les Etats membres.
Larticle 14 paragraphe 1 nous semble être une bonne illustration
des intentions communautaires. Le régime de responsabilité du prestataire
dhébergement (15) prévoit pour les différentes parties
intéressées la mise en place de procédures (notification, retrait et interdiction)
envers le prestataire auteur dun acte illicite, appelées " notice and
take down procédure ". Même si ces moyens offerts ne se substituent
pas aux voies de recours juridictionnelles, ils démontrent la volonté manifeste des
institutions communautaires de promouvoir les systèmes dauto-réglementation.
Stimuler la coopération administrative entre Etats membres (en raison de labsence
et de la non transparence de certaines dentre elles), faciliter les règlements des
litiges transfrontaliers par des mécanismes répondant aux exigences des transactions en
ligne (16), à savoir la rapidité et lefficacité, sont fortement
encouragés par la Commission.
La proposition de Directive envisage aussi lélaboration de
" codes de conduite " à léchelle communautaire. On se
sait si on peut pousser la comparaison jusquà y voir une future autorégulation via
des tiers à limage du Better Business Bureau aux Etats Unis. Pour la
Directive du 20/05/1997 relative à la protection des consommateurs en matière de
contrats à distance, les recours nationaux des associations de consommateurs
napparaissent que comme une faculté laissée au libre arbitre des Etats membres.
Si la proposition de Directive communautaire sintéresse aux
règlements judiciaires et extra-judiciaires des conflits sur Internet, la CJCE avait pu
bien avant prendre une position claire en la matière en considérant que laccès à
la justice constitue le corollaire des libertés de lespace sans frontières
intérieures. Dans le même sens, le Parlement européen avait pu insister par une
résolution (17) sur la nécessité de recourir aux règles
darbitrage.
La Directive, outre les ambitions reprises ci-dessus, semble vouloir
améliorer lefficacité des procédures durgence, seul moyen approprié de
réponse à la rapidité des dommages sur le réseau des réseaux. De même, elle souhaite
par les mécanismes extra-judiciaires des conflits, stopper limpunité de la petite
délinquance liée à Internet. Pour autant, ces mécanismes demeurent pour la plupart
inadaptés.
Codes de conduite
Le paragraphe 3 de larticle 10 de la proposition de Directive
dans le cadre de lobligation de transparence sur les modalités du processus
contractuel auxquelles le prestataire est soumis, donne la possibilité au destinataire de
service daccéder aux codes de conduite. Ces codes de conduite (article 16 du projet
de Directive) constituent un instrument favorable pour déterminer des règles
déontologiques applicables à la communication commerciale. Malheureusement, on constate
que la proposition de Directive reste circonspecte quant aux moyens permettant leur
développement et leur élaboration. Il est vrai que ce choix de promouvoir des codes de
conduite s'inscrit dans la politique adoptée par les autorités communautaires aussi bien
dans la recommandation 98/560 du Conseil du 24 septembre 1998 (18), que
dans la décision du Conseil adoptant un plan d'action communautaire pluriannuel visant à
promouvoir une utilisation sûre dInternet. Pour s'assurer de la compatibilité des
codes de conduite avec le droit communautaire, le paragraphe b invite les parties
intéressées à communiquer à la Commission les projets de codes. En revanche, en vertu
de la Directive 98/34/CE (19) les accords volontaires auxquels
l'autorité publique est partie contractante devront obligatoirement être notifiés dans
les conditions prévues par cette Directive. Manifestement, cet article permettra la mise
en uvre des stipulations de l'article 8 de la proposition de Directive qui pose le
principe général de lautorisation de la communication commerciale pour les
professions dites réglementées.
Règlement extrajudiciaire des différends
Prévue par larticle 17 paragraphe 1, la proposition Directive
invite les Etats membres à recourir de manière effective, en particulier par voie
électronique, aux mécanismes de règlement extrajudiciaire. Ainsi, il est prévu en cas
de désaccord entre un prestataire et un destinataire dun service de la société de
linformation de favoriser le règlement extrajudiciaire des litiges. Ce type de
mécanisme apparaît particulièrement utile pour certains litiges sur Internet compte
tenu des faibles montants des transactions et de la qualité des parties (particuliers et
pas systématiquement multinationales) qui peuvent être dissuadées d'utiliser les
procédures judiciaires en raison de leurs coûts.
Mais surtout, la voie pré-contentieuse doit pouvoir pallier les
carences du système juridictionnel de règlements des litiges sagissant notamment
des délais de jugements. La proposition de Directive ne répertorie pas les modalités de
règlement extrajudiciaire, par conséquent larbitrage (pratique courante en droit
du commerce international), la médiation et la conciliation ou encore les conventions
dEDI sont donc envisageables sans exclusion. Par contre, il reste à voir si un
encadrement juridique par les Etats membres de ces mécanismes de règlement des
différends naura pas pour effet de limiter leur utilisation. En effet, on peut
raisonnablement penser que la régulation étatique rendra complexe la mise en place des
voies extrajudiciaires, qui plus est par voie électronique ! La proposition de
Directive se garde bien dopposer réglementation étatique et autorégulation par
les acteurs dInternet. Il semble quelle souhaite retenir une combinaison des
deux approches apparemment indissociables.
Pour résumer, lautorégulation doit passer aussi par la sanction
et a fortiori par la réglementation qui ne peut être exhaustive. Doù il
nous semble que la promotion des codes de conduite serait à même de responsabiliser les
acteurs dInternet.
Les principes invoqués au paragraphe 2 concernent uniquement les
organes de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. La proposition de
Directive se contente de reprendre les règles déjà énoncées dans la recommandation
98/257/CE de la Commission, adoptée le 30 mars 1998, concernant les principes applicables
aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommations
et expliqués dans la communication de la Commission du 30 mars 1998 sur "la
résolution extrajudiciaire des conflits de consommation".
Recours juridictionnels
Larticle 18 présente le volet juridictionnel de la Directive
permettant den garantir les prescriptions.
En vertu du principe dautonomie procédurale, le projet de
Directive laisse les Etats membres libres dorganiser des recours juridictionnels
efficaces destinés à garantir la légalité des activités de services de la société
de lInformation. Mais lautonomie ainsi reconnue aux Etats est encadrée par le
projet de Directive, qui précise en premier lieu que si les Etats membres sont libres
dorganiser les recours, cest à la condition quils soient efficaces.
Cette efficacité est strictement définie puisquest seul jugé efficace le recours
juridictionnel sur lequel il est statué dans les plus brefs délais et en la forme des
référés. Ce choix procédural simposait dans la mesure où il sagissait
dadapter la procédure à la fugacité des réseaux. Le projet de Directive crée
une véritable obligation de résultat qui pèsera sur les Etats membres qui devront
examiner ainsi dans quelle mesure leurs procédures sont adaptées pour faire face à des
comportements illicites ou des litiges sur Internet. Cette affirmation de principe ne
manquera pas d'alimenter la polémique à propos de la compétence du juge des référés
dans certaines affaires liées à Internet où elle dépasse, pour certains, le strict
cadre de l'évidence. Est-ce à dire que les règles de procédure devraient être
adaptées à cette nouvelle exigence (20) ? Par ailleurs, les
juridictions saisies des violations des dispositions de la Directive devront pouvoir
prendre toutes mesures destinées à réparer la violation et à empêcher la survenue
dautres préjudices, sur le modèle du référé conservatoire.
Parallèlement à ce volet " protection
durgence ", le projet prévoit, sagissant spécifiquement des
articles 5 à 15, que les actes contraires aux dispositions de transpositions de ces
articles, sils portent atteinte aux intérêts des consommateurs, constituent des
infractions telles quelles sont définies à larticle 1er
paragraphe 2 de la Directive 98/27/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux
actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs.
Conclusion
Internet se développe dans un environnement mondial. Dès lors, les
solutions retenues par la Commission et à plus long terme par les Etats se doivent
dintégrer les options développées au niveau international et ceci afin de créer
une certaine cohérence rendue indispensable par la mondialisation. Certes, il est
illusoire de penser que les Etats ne pourront avoir aucune autorité sur le réseau
mondial. Tant que les acteurs auront un lien les rattachant à un Etat, ce dernier pourra
par divers moyens exercer un pouvoir de contrôle et de sanction à légard des
différents acteurs et activités sur Internet.
Illustration des velléités des Etats, les dispositions de
larticle 22 du projet de Directive semblent répondre à ces préoccupations. Cet
article porte sur les mesures que peuvent prendre les Etats membres afin de restreindre la
libre circulation dun service de la société de linformation. Conformément
aux principes de larticle 56 du traité CE, larticle 22 énonce que les
restrictions ne peuvent être prises que pour des raisons dordre public, de
sécurité publique et de santé publique. Cependant, la jurisprudence relative à
larticle 56 alinéa 2 assortit cette exception dune réserve fondamentale qui
vise à prévenir toute dérive dun Etat membre qui consisterait à utiliser ces
dérogations pour des exigences impératives, mais qui servirait en réalité à pratiquer
une discrimination arbitraire. Les restrictions sont non seulement limitées par leur
objet : protéger lordre, la sécurité ou la santé publique, mais sont aussi
tenues de respecter les principes généraux du droit ainsi que les principes fondamentaux
(21). Le droit communautaire admet que soient apportées des
restrictions aux principes quil consacre, mais ces dernières sont conçues de
manière stricte, dans la mesure où il exige en fait que ces restrictions soient de
véritables exceptions (22). Or, cette précision fondamentale
napparaît pas dans la rédaction de larticle 22 de la proposition de
Directive. Autrement dit, faut-il considérer que les mesures de larticle 22
intègrent implicitement les règles du droit commun rappelées ci-dessus, ou alors que la
proposition de Directive a volontairement créé un moyen pour les Etats de déroger aux
règles de la concurrence ? Dès lors, lambition de la Commission
dharmoniser les législations des Etats membres relatives notamment à la
sécurisation des échanges sur Internet, afin déliminer les interdictions ou les
restrictions à lutilisation de moyens électroniques, se verrait profondément
remise en cause.
Y. D. et A. M.
Notes
1. Information Micro &
Réseau 30.11.1998, n° 362
2. La communication de la Commission
" Une initiative européenne dans le domaine du commerce
électronique ", du 16.4.1997 fixait déjà un objectif clair, à savoir la
création, dici lan 2000, dun cadre juridique cohérent à
léchelon européen.
3. En ce sens les Directives relatives à la
protection des données à caractère personnel et à la protection des consommateurs en
matière de contrats négociés à distance, ainsi que les propositions de Directive
relatives aux signatures électroniques, au droits dauteurs et à la monnaie
électronique.
4. Communication de la Commission au Conseil
européen en date du 4.6.1997 : 4ème action du 3ème objectif
stratégique ( Supprimer les obstacles à lintégration des marchés).
5. Et ceci malgré les accusation des Etats
Unis et notamment celles de Ira Magaziner, conseillère de Bill Clinton pour Internet, qui
considère que la Commission freine par cette proposition le commerce électronique et la
menace de mesures de rétorsion !
6. Cour d'appel de Paris 10 février 1999,
Estelle Hallyday c/ Valentin Lacambre, commentaire de Lionel Thoumyre et Thibault
Verbiest, " Le mannequin et lhébergeur ", Juriscom.net,
mars 1999, http://www.juriscom.net/espace2/resp2.htm.
7. Voir obs de Valérie Sédaillan, La
responsabilité des prestataires techniques sur Internet dans le Digital Copyright Act
américain et le projet de Directive européen, Cahier Lamy, janvier 1999, n°110,
p. 1 et s.
8. CJCE 25-7-1991, Factortame pt.20, Affaire C-221/89, Rec
.1991 page I-3905.
9. CJCE 25-7-1991, Stichting Collective
Antenne-Voor Ziening Gouda, Rec I page 4007.
10. Eric Labbé, " Spamming et
législation américaine : vers un projet fédéral décisif ", Juriscom.net,
mars 1999, http://www.juriscom.net/espace2/spam1.htm.
11. Lionel Thoumyre, " Email publicitaires :
tarir à la source ", Netsurf, n°32, novembre 1998, p.16, disponible
aussi sur Juriscom.net : http://www.juriscom.net/espace1/chrojur4.htm.
Voir notamment les critiques dEric Labbé un projet américain similaire.
12. Charles Gagnon, " LEchange de
consentement et le commerce électronique ", serveur de lUniversité de
Montréal, http://www.droit.umontreal.ca/~gagnonc/travaux/consentement.html.
13. Eric Barbry, " Le droit du commerce
électronique - De la protection à la confiance ", Cyberlex, http://www.grolier.fr/cyberlexnet.
14. Voir la transposition de lidée de soft law développée
par M. Vivant Internet et modes de régulation, rapport au colloque de Namur,
" Internet face au droit ", Nov 1996, Cah. du CRID 1997,
n°12. p. 215.
15. Voir les observation de V. Sédaillan, Cahiers Lamy,
Janvier 1999, n°110, p. et s.
16. Communication de la Commission au Parlement européen,
au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions concernant le plan
dactions visant à promouvoir une utilisation sûre dInternet. Adoptée par la
Commission le 12.11.1997 (COM(97)582). Recommandation 98/560 du Conseil du 24-9-1998
concernant le développement de la compétitivité de lindustrie européenne des
services audiovisuelles et dinformation par la promotion de cadres nationaux visant
à assurer un niveau comparable et efficace de protection des mineurs et de la dignité
humaine. JO L 270 du 7.10.1998, p. 48.
17. Résolution du Parlement du 14.5.1998, point 32
18. Concernant le développement de la compétitivité de
l'industrie européenne des services audiovisuels et d'information par la promotion de
cadres nationaux visant à assurer un niveau comparable et efficace de la protection des
mineurs et de la dignité humaine JO L 270 du 7.10.1998, p. 48.
19. JO L 204 du 21.7.1198, p. 37, telle que modifiée par
la Directive 98148./CE, JO L 217 du 5.8.1998, p. 18.
20. voir les réflexions du président Gomez sur la
création d'un référé de fond sur Internet, Expertises, Nov 98, n° 220, p.335
et s.
21. CJCE 18-6-1991 aff. C-260/80, Elliniki Radiophonis
Théorassi AE/Dimotiki Etaria Pliroforissis, Rec 1991-I, p. 2925. En loccurrence
il sagissait dapprécier la réglementation litigieuse au regard de la
liberté dexpression consacrée par larticle 10 de la CEDH.
22. G. Lyon-Caen, " La réserve dordre
public en matière détablissement et de libre circulation ", RTD eur.,
1966, p.693.
Voir également sur Juriscom.net :
- Preuve et formalisme des contrats électroniques :
lexemple québécois
(Travaux Universitaires - Doctrine), de Vincent Gautrais ;
- L'échange
des consentements dans le commerce électronique
(Travaux Universitaires - Doctrine), de Lionel Thoumyre ;
- La reconnaissance juridique de la
signature électronique
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Commerce électronique : les
réformes européennes
(Espace "Professionnels"), de Maître Valérie Sédallian ;
- Protection du
cyberconsommateur
(Espace "Internautes"), de Lionel Thoumyre ;
- Aspects juridiques de
l'ouverture d'un site commercial sur Internet
(Chroniques juridiques), de Gérard Haas.
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