L.T. : Question classique mais néanmoins
nécessaire pour ouvrir notre entrevue : selon-vous, quels sont les principaux enjeux
de la reconnaissance de la valeur probatoire dun message électronique et de sa
signature ?
T.H. : Plusieurs enjeux : l'identité du contractant,
la véracité de son consentement (c'est bien le contractant qui a signé),
l'authenticité du contenu, la permanence du contenu consenti (l'authenticité du contenu
doit durer dans le temps), la force probante de la signature électronique.
L.T. : Lécrit numérique devrait-il se voir conférer
une force probatoire équivalente à celle dun écrit dit
" classique " ?
T.H. : Plus que l'écrit classique car le risque
d'imiter une signature n'existe plus, ce qui ne supprime cependant pas les autres risques
de fraude.
L.T. : Le message électronique pourrait-il avoir une
quelconque valeur probatoire lorsquil nest pas accompagné dune
signature numérique réputée fiable ?
T.H. : A mon sens le message électronique devrait
alors valoir comme le fax commencement de preuve pour les actes juridiques (encore
faudra-t-il trouver des adminicules extrinsèques pour le compléter) et présomption de
fait, souvent suffisante, pour faire preuve des faits juridiques.
L.T. : Larticle 9 de la proposition de directive du 18
novembre 1998 précise que les États membres devront veiller à ne pas " empêcher
une utilisation effective des contrats par voie électronique ni ne conduise à les priver
deffet et de validité juridique ". Pensez-vous que la législation
française actuelle constitue une entrave à l" utilisation effective
des contrats par voie électronique " ? Si oui, dans quelle
mesure ?
T.H. : Je pense qu'une réforme est utile mais que le
système pouvait continuer à fonctionner tel qu'il est tout en respectant la directive.
Aujourd'hui la vente à distance classique fonctionne avec un système probatoire fondé
sur la tabulation des moyens de paiement. Je pense qu'on focalise trop sur la réforme de
la preuve alors que le développement des contrats à distance passe avant tout par une
réforme des moyens de paiement. Sur ce point les USA sont, paradoxalement, plus
protecteurs du consommateur que nous : la non conformité du produit permet d'échapper au
paiement, alors que ce n'est pas un cas d'opposition au paiement chez nous. Nous
protégeons le consentement, eux l'exécution. Je pense qu'ils font plus pour le
consommateur que nous.
L.T. : Selon larticle 7 de la loi type
sur le commerce électronique de la C.N.U.D.C.I., lexigence dune signature est
satisfaite pour un message électronique dès lors ladite signature remplit les objectifs
de son analogue manuscrit, à savoir : lidentification du signataire et
lexpression de son consentement. Ne trouvez-vous pas que la proposition du sénat
français semble privilégier le critère de l
" authentification " par rapport à celui du
" consentement " ? Si oui, y aurait-il des raisons à cela ?
Les implications sont-elles importantes ?
T.H. : Il me semble que le terme authentification
englobe à la fois l'identité et la véracité du consentement : c'est moi qui ai voulu
contracter et c'est moi qui ai signé.
L.T. : En comparaison avec la proposition sénatoriale, que
pensez-vous de la définition que le Nouveau Code civil du Québec donne à la signature
dans sa section réservée aux actes sous seing privé : " La signature
consiste dans lapposition quune personne fait sur un acte de son nom ou
dune marque qui lui est personnelle et quelle utilise de façon courante, pour
manifester son consentement " (art. 2827 C.c.Q.) ?
T.H. : La définition québécoise me rappelle trop
celle de l'écrit manuscrit. Je préfère celle contenu dans le rapport Falque Pierrotin,
p. 82 : "une signature identifie le signataire et manifeste son consentement au
contenu de l'acte" juridique. L'écrit ce n'était jamais qu'une signature
électrique sur un support papier. Demain ce sera une signature électronique quel que
soit le support.
L.T. : La proposition du sénat français devrait-elle modifier
ou enrichir une autre partie du Code civil que le paragraphe 4 (Des copies des
titres) du Chapitre VI (De la preuve des obligations et de celle du paiement ? Si
oui, laquelle ?
T.H. : Je pense que la notion de copie est dépassée,
par le manque de pertinence de distinction entre elle et l'original. La place dans une
section consacrée aux copies n'est pas bonne. A mon sens le proposition Falque Pierrotin
de faire situer au lieu et place de la preuve par les tailles n'est pas idéale non plus.
Il vaudrait mieux définir dans un nouvel article ce qu'est un écrit, chose que n'avait
pas faite le codificateur.
L.T. : De manière générale, auriez-vous des critiques à
émettre vis à vis de la proposition sénatoriale ? ou, plus précisément,
auriez-vous des souhaits particuliers en matière de législation sur la valeur probatoire
des messages électroniques ?
T.H. : Le principal reproche, c'est de ne pas
envisager la dimension transnationale. Mais je crois que le reproche est très sévère
car c'eût été une réforme complexe à faire. Quant à savoir s'il fallait englober, à
l'instar de la proposition de texte luxembourgeoise, la certification par les tiers, alors
que la question est techniquement en pleine évolution, je reste dubitatif au sens premier
du mot.
L.T. : Spécialiste en propriété intellectuelle, en quoi les
questions liées à la force probatoire des écrits numériques et de leurs signatures
vous intéresse-t-elles précisément ?
T.H. : C'est moins le spécialiste de PLA qui est
concerné que le civiliste : je pense que le système de la preuve était sans doute la
partie la plus parfaite du Code civil. Le libéralisme de la jurisprudence qui, en
affirmant que les règles de preuve ne sont pas d'ordre public, a complété brillamment
le tableau. Le droit actuel de la preuve pourrait parfaitement continuer à fonctionner
tel que, même si un toilettage s'avère aujourd'hui très utile, en permettant la
souplesse et l'adaptation du droit aux nouvelles technologies. Mais la preuve m'intéresse
aussi pour des raisons sociologiques. Elle est une des conditions du développement du
commerce électronique, qui lui-même va décupler les ventes à distance. Et le
transnationalisme d'Internet va faire éclater les États jacobins. Une bonne partie des
ventes Internet se fera en franchise, de fait, de TVA. Quel défi pour les Etats jacobins
qui veulent tout filtrer pour taxer "tout ce qui bouge". Bon courage pour taxer
le téléchargement de logiciels ! Internet c'est le poujadisme modernisé, mais avec plus
de chances de succès : une pression forte du marché pour diminuer la fiscalité. Les
gouvernements qui ne l'auront pas compris souffriront de la délocalisation. A méditer !