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Rubrique : professionnels / volume 1

Interview

Juillet 1999


 

Signature électronique :
vers une réforme du droit de la preuve

Discussion autour de la proposition de loi sénatoriale n° 246, déposée en mars 1999

 

Interview de Maître Théo Hassler,

réalisée par Lionel Thoumyre, directeur de Juriscom.net

 


L.T. : Question classique mais néanmoins nécessaire pour ouvrir notre entrevue : selon-vous, quels sont les principaux enjeux de la reconnaissance de la valeur probatoire d’un message électronique et de sa signature ?

T.H. : Plusieurs enjeux : l'identité du contractant, la véracité de son consentement (c'est bien le contractant qui a signé), l'authenticité du contenu, la permanence du contenu consenti (l'authenticité du contenu doit durer dans le temps), la force probante de la signature électronique.

 

L.T. : L’écrit numérique devrait-il se voir conférer une force probatoire équivalente à celle d’un écrit dit " classique " ?

T.H. : Plus que l'écrit classique car le risque d'imiter une signature n'existe plus, ce qui ne supprime cependant pas les autres risques de fraude.

 

L.T. : Le message électronique pourrait-il avoir une quelconque valeur probatoire lorsqu’il n’est pas accompagné d’une signature numérique réputée fiable ?

T.H. : A mon sens le message électronique devrait alors valoir comme le fax commencement de preuve pour les actes juridiques (encore faudra-t-il trouver des adminicules extrinsèques pour le compléter) et présomption de fait, souvent suffisante, pour faire preuve des faits juridiques.

 

L.T. : L’article 9 de la proposition de directive du 18 novembre 1998 précise que les États membres devront veiller à ne pas " empêcher une utilisation effective des contrats par voie électronique ni ne conduise à les priver d’effet et de validité juridique ". Pensez-vous que la législation française actuelle constitue une entrave à l’" utilisation effective des contrats par voie électronique " ? Si oui, dans quelle mesure ?

T.H. : Je pense qu'une réforme est utile mais que le système pouvait continuer à fonctionner tel qu'il est tout en respectant la directive. Aujourd'hui la vente à distance classique fonctionne avec un système probatoire fondé sur la tabulation des moyens de paiement. Je pense qu'on focalise trop sur la réforme de la preuve alors que le développement des contrats à distance passe avant tout par une réforme des moyens de paiement. Sur ce point les USA sont, paradoxalement, plus protecteurs du consommateur que nous : la non conformité du produit permet d'échapper au paiement, alors que ce n'est pas un cas d'opposition au paiement chez nous. Nous protégeons le consentement, eux l'exécution. Je pense qu'ils font plus pour le consommateur que nous.

 

L.T. : Selon l’article 7 de la loi type sur le commerce électronique de la C.N.U.D.C.I., l’exigence d’une signature est satisfaite pour un message électronique dès lors ladite signature remplit les objectifs de son analogue manuscrit, à savoir : l’identification du signataire et l’expression de son consentement. Ne trouvez-vous pas que la proposition du sénat français semble privilégier le critère de l’ " authentification " par rapport à celui du " consentement " ? Si oui, y aurait-il des raisons à cela ? Les implications sont-elles importantes ?

T.H. : Il me semble que le terme authentification englobe à la fois l'identité et la véracité du consentement : c'est moi qui ai voulu contracter et c'est moi qui ai signé.

 

L.T. : En comparaison avec la proposition sénatoriale, que pensez-vous de la définition que le Nouveau Code civil du Québec donne à la signature dans sa section réservée aux actes sous seing privé : " La signature consiste dans l’apposition qu’une personne fait sur un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement " (art. 2827 C.c.Q.) ?

T.H. : La définition québécoise me rappelle trop celle de l'écrit manuscrit. Je préfère celle contenu dans le rapport Falque Pierrotin, p. 82 : "une signature identifie le signataire et manifeste son consentement au contenu de l'acte" juridique. L'écrit ce n'était jamais qu'une signature électrique sur un support papier. Demain ce sera une signature électronique quel que soit le support.

 

L.T. : La proposition du sénat français devrait-elle modifier ou enrichir une autre partie du Code civil que le paragraphe 4 (Des copies des titres) du Chapitre VI (De la preuve des obligations et de celle du paiement ? Si oui, laquelle ?

T.H. : Je pense que la notion de copie est dépassée, par le manque de pertinence de distinction entre elle et l'original. La place dans une section consacrée aux copies n'est pas bonne. A mon sens le proposition Falque Pierrotin de faire situer au lieu et place de la preuve par les tailles n'est pas idéale non plus. Il vaudrait mieux définir dans un nouvel article ce qu'est un écrit, chose que n'avait pas faite le codificateur.

 

L.T. : De manière générale, auriez-vous des critiques à émettre vis à vis de la proposition sénatoriale ? ou, plus précisément, auriez-vous des souhaits particuliers en matière de législation sur la valeur probatoire des messages électroniques ?

T.H. : Le principal reproche, c'est de ne pas envisager la dimension transnationale. Mais je crois que le reproche est très sévère car c'eût été une réforme complexe à faire. Quant à savoir s'il fallait englober, à l'instar de la proposition de texte luxembourgeoise, la certification par les tiers, alors que la question est techniquement en pleine évolution, je reste dubitatif au sens premier du mot.

 

L.T. : Spécialiste en propriété intellectuelle, en quoi les questions liées à la force probatoire des écrits numériques et de leurs signatures vous intéresse-t-elles précisément ?

T.H. : C'est moins le spécialiste de PLA qui est concerné que le civiliste : je pense que le système de la preuve était sans doute la partie la plus parfaite du Code civil. Le libéralisme de la jurisprudence qui, en affirmant que les règles de preuve ne sont pas d'ordre public, a complété brillamment le tableau. Le droit actuel de la preuve pourrait parfaitement continuer à fonctionner tel que, même si un toilettage s'avère aujourd'hui très utile, en permettant la souplesse et l'adaptation du droit aux nouvelles technologies. Mais la preuve m'intéresse aussi pour des raisons sociologiques. Elle est une des conditions du développement du commerce électronique, qui lui-même va décupler les ventes à distance. Et le transnationalisme d'Internet va faire éclater les États jacobins. Une bonne partie des ventes Internet se fera en franchise, de fait, de TVA. Quel défi pour les Etats jacobins qui veulent tout filtrer pour taxer "tout ce qui bouge". Bon courage pour taxer le téléchargement de logiciels ! Internet c'est le poujadisme modernisé, mais avec plus de chances de succès : une pression forte du marché pour diminuer la fiscalité. Les gouvernements qui ne l'auront pas compris souffriront de la délocalisation. A méditer !

Note : Maître Théo Hassler vient de publier un commentaire sur la proposition de loi sénatoriale n° 246 relative à la signature électronique. Cet article approfondira certaines des problématiques soulevées lors de la présente entrevue.


Voir également sur Juriscom.net :

- Preuve de l’existence d’un contrat et Internet : brèves observations à propos d’une proposition de loi (Espace "Professionnels"), de Maître Théo Hassler ;
- Commerce électronique : les réformes européennes
(Espace "Professionnels"), de Maître Valérie Sédallian ;
- Un aperçu de la proposition de Directive 98-586 relative à certains aspects juridiques du commerce électronique (Espace "Professionnels"), de Yann Dietrich et Alexandre Menais ;
- La reconnaissance juridique de la signature électronique
(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
- Preuve et formalisme des contrats électroniques : l’exemple québécois
(Travaux Universitaires - Doctrine), de Vincent Gautrais ;
- L'échange des consentements dans le commerce électronique
(Travaux Universitaires - Doctrine), de Lionel Thoumyre.

 

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